Le 5ème Plenum du XVIII. Congrès a été le temps d’un vaste débat interne. Xi Jinping semble vouloir réorienter la société dans les domaines les plus divers. En voici quatre :
Une vague de réarmement moral
Une vague que He Huaihong, philosophe à l’université Beida, explique par ce paradoxe : « nos moyens matériels et militaires n’ont jamais été si forts, mais les liens spirituels et culturels entre nous, n’ont jamais été si faibles ». Dès le 12 octobre, deux directives du Politburo prétendent réintroduire la frugalité dans le quotidien des 88 millions de membres du Parti.
Wang Qishan, chef de la campagne anticorruption le rappelle, les membres doivent s’inspirer des « vertus de la Chine antique », sous peine de risquer l’exclusion.
Dès le 1er janvier 2016, ils doivent cesser toute critique de l’action publique ; renoncer à tout passeport ou résidence étrangers ; s’abstenir de fréquenter clubs de quartier, association d’anciens élèves, amicales de régiment et autres « cliques ».
Haro aussi sur tout privilège de complaisance, banquets luxurieux, relations sexuelles inappropriées, cartes d’achat prépayées, de clubs privés, de golf même…
C’est un Comité Central de 205 membres, renouvelé de plus de moitié qui a siégé, suite aux frappes de la campagne anticorruption, dont 7 exclus, 16 rétrogradés et 81 promus.
C’est dire que ce thème des « mains propres » prend une importance capitale dans la vie des cadres, capable de briser leur carrière voire leur liberté. Au total, depuis 2012, 18 membres ont été limogés, sur les 376 membres et suppléants.
Wang Qishan a fait connaître le prochain secteur ciblé : la 31 des plus grosses maisons financières, banques, compagnies d’investissement, commissions tutélaires ou maisons de courtage. Après le quasi-crash de l’été, et la ruine encourue de millions de petits agioteurs, c’était à prévoir. Déjà Zhang Yujun, vice-président de la CSRC, est sous enquête, et Chen Hongqiao, président des courtages Guosen (Shenzhen), qui était inquiété, vient d’être retrouvé chez lui, pendu.
Une autre initiative est l’achèvement pour 2020 du système de crédit social. D’ici là, chacun recevra en fonction de son comportement, une « note morale » qui pourrait conditionner bien des choses dans sa vie financière comme sociale.
Pauvreté, urbanisation, hukou…
D’ici 2020, la pauvreté doit être éradiquée. Elle concerne encore 70 millions de Chinois, vivant avec moins de 2300¥/an. Un des moyens envisagé est l’urbanisation (100 millions de migrants doivent s’installer en ville, soit 7,6% de la population), assortie de l’élimination du hukou (户口), permis de résidence discriminatoire.
Suite à une ordonnance nationale tout juste publiée, les villes seront tenues d’ouvrir aux enfants des migrants leurs écoles, et à leurs familles, leurs hôpitaux aux mêmes conditions que les citadins.
Une dizaine de prestations sociales seront accessibles après un certain temps de résidence (tel six mois), aux migrants justifiant d’un emploi, d’une adresse et du paiement des impôts locaux. Plus la ville est grande, plus les conditions seront strictes—l’Etat voulant plafonner la croissance des métropoles.
Vus les coûts énormes impliqués par l’intégration de centaines de millions de migrants, ce retrait du hukou risque de prendra plus que les 5 ans espérées par le Conseil d’Etat d’ici 2020. Mais le profit à en attendre, en emplois créés et en consommation, représenterait 2% du PIB ce qui, par ces temps de récession, vaut tous les sacrifices, argumente le sociologue shanghaïen Qu Xiaobo.
La réforme de l’armée
Vu la liaison fusionnelle entre Parti et Armée, la réforme de la défense ne pouvait qu’occuper une place forte au Plenum. Elle est la plus concrète, mais aussi la plus secrète des changements programmés.
Xi Jinping déclarait le mois dernier que le régime avait à présent « une rare fenêtre d’opportunité » pour cette réforme, après avoir fait destituer deux grands patrons de l’état-major et 50 généraux, rétablissant ainsi l’autorité du pouvoir civil. Le plan vise un commandement unifié « à l’américaine », supprimant le cloisonnement entre états-majors (terre-air-mer et balistique), et intégrant tous les services de guerre cybernétique (télécoms, hacking…) Il réduirait à quatre les sept actuelles régions militaires. Il libérera 300.000 soldats, dont 70% de sous-officiers.
Cette armée modernisée, dotée de moyens d’intervention rapide, viserait la capacité de reprendre Taiwan d’ici 2020, tout en dissuadant les Etats-Unis de venir au secours de leur allié.
Question essentielle : qui sera le général en chef de cette armée modernisée de 2 millions d’hommes, au poste de vice-Président de la CMC en 2017, pour la seconde législature de Xi Jinping ? Liu Yuan, fils de Liu Shaoqi semblait bien parti, distingué par son travail de purge anticorruption. Mais finalement, Zhang Youxia, patron du département de l’armement, est pressenti pour emporter le poste, avec la confiance de l’homme fort du pays.
L’agonie du Planning familial
La décision phare de ce Plenum, aura été sans aucun doute celle de mettre fin à la politique de l’enfant unique, après 35 ans. Désormais, le quota passe à 2 héritiers par couple—marié bien sûr. Le but est d’éviter que la proportion de sexagénaires, aujourd’hui de 10% de la population, ne passe à plus de 30% d’ici 2050, mettant un frein brutal à la croissance, chaque jeune actif devant financer la retraite de quatre vieillards.
La nouvelle est bien accueillie tant par l’opinion que par les fabricants de jouets, couches, lait maternisé… Néanmoins, elle a un goût d’amertume pour les quelques millions de parents ayant perdu leur enfant unique, mais trop âgés pour en concevoir un autre. Et pour la pyramide des âges, le mal est déjà fait.
D’autres notent que le planning familial est (encore une fois) assoupli mais toujours non abrogé. Se posera entre autres le problème de la réaffectation des 6 millions de cadres qui assuraient la « police des berceaux ». Autre souci en perspective, le manque à gagner pour ces milliers de bourgades qui vivaient de la taxe sur les enfants illégaux -10 milliards de $ cette année.
Au fait, y aura-t-il une « revanche des berceaux » suite à l’assouplissement de la loi ? La presse officielle calcule « 8 millions de naissances de plus en 5 ans ». Mais un démographe fixe plus raisonnablement le bilan à 2,1 millions, du fait qu’en ville, le 2ème enfant n’a plus la cote pour des raisons financières, auprès des enfants uniques devenus parents. En somme, la décision du Comité Central ne devrait pas changer grand-chose au tableau économique et démographique d’avenir chinois.
Autre résultat du planning que la nouvelle règle ne changera pas : le déficit en filles, suite aux avortements sélectifs. D’ici 2020, il en manquerait 30 millions, condamnant autant de garçons au célibat forcé. Ces « branches mortes » (光棍, guānggùn) ont même leur fête en Chine, le 11 novembre. À leur attention, l’économiste Xie Zuoshi imagine d’autoriser dans les régions pauvres, un « mariage à trois », deux hommes pour une épouse. La proposition a suscité des passions sur internet. Elle témoigne du ferment agitant cette société en pleine ébullition, prête à prendre des risques d’innovation dans ses manières de vivre, au nom de son mieux-être.
Sommaire N° 36 (XX)