Le 9 décembre 2010, le Prix Confucius naissait, à la veille de la remise du Nobel de la paix au pamphlétaire Liu Xiaobo—en prison pour dissidence. La proximité des dates était toute sauf fortuite. À la hâte, une « association des arts indigènes chinois » indignée par le choix du jury Nobel, fondait ce prix dédié « aux travailleurs de la paix dans une perspective orientale », pour dénoncer ce Nobel irrespectueux du régime.
Surprise: le prix Confucius est attribué en 2015… à Robert Mugabe, Président du Zimbabwe. Mugabe est sur la liste Forbes des 10 pires dictateurs, à cause des violences en ses 28 ans de règne, mais les 76 jurés le priment pour avoir « continué à œuvrer, à 91 ans, pour la paix en Afrique ».
À cet âge canonique, 91 ans, Mugabe pourra t-il venir en Chine recevoir son prix – un Confucius d’or, et 100.000 ¥ ? Si non, il ne fera que poursuivre une tradition déjà bien établie : 3 des 5 précédents lauréats, Lien Chan, Poutine (en 2011, « pour sa main d’acier et son inflexibilité ») et Fidel Castro (en 2014) ont déjà brillé par leur absence. Poutine, en particulier, n’avait pas été prévenu de sa nomination.
Précisons qu’en 2011, le ministère de la Culture avait tenté d’abolir cette distinction un peu trop tapageuse. Mais l’indocile association, migrant sur Hong Kong, s’était rebaptisée « Centre International Chinois des Etudes sur la Paix »), pour maintenir le prix.
Outre les dictateurs figurent parmi les lauréats Koffi Annan (2012), Yuan Longping (père du riz hybride), et Yi Cheng (2013, ex-Président de l’Association Nationale Bouddhiste).
Curieusement, au vote 2015, Mugabe arriva au coude à coude avec l’ex-Premier ministre japonais Tomiichi Murayama, 91 ans, nominé pour s’être excusé pour les atrocités commises par le Mikado durant la guerre sino-japonaise. Contacté, ce dernier refusa, sur ce commentaire insolite : « C’eût été agréable de recevoir le prix d’un homme aussi célèbre que Confucius, mais ma santé médiocre me force à décliner… Je ne sais pas non plus si je le mérite vraiment… En tout cas, je reste totalement dans le flou, sur les raisons qui ont pu pousser ce comité à me choisir ! »
Santé fragile? Humm… Elle n’avait pas empêché Murayama d’assister à la parade militaire du 3 septembre à Pékin, pour les 70 ans de victoire chinoise sur le fascisme. Mais cette réponse dénote d’un humour fin, chez un homme sachant se distancier avec panache, d’un honneur compromettant.
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