Le départ de Xi Jinping aux Etats-Unis fut l’occasion d’un événement passé inaperçu, mais inattendu : le rapprochement de géants américains et chinois du cinéma et de l’audiovisuel du divertissement, amorçant la relance d’une coopération en panne depuis des lustres.
Censure et frilosité culturelle obligent, Hollywood et la Chine du 7ème art ne faisaient pas bon ménage -jusqu’à hier.
En 2005, après 3 ans d’efforts, Time Warner jetait l’éponge dans sa tentative de créer son réseau de salles de cinéma : Pékin limitait la participation étrangère en ce secteur à 49% des parts. Le groupe voyait aussi s’évanouir son rêve d’inonder la Chine de ses films d’action : la tutelle SARFT bloquait le quota mondial à 20 titres par an.
Or voici que le 20 septembre, Warner Bros Entertainment fait son come-back sur le marché chinois en JV avec China Media Capital (CMC, du tycoon Li Ruigang).
Avec ses studios à Hong-Kong et ses bureaux à Los Angeles et à Pékin, Flagship (nom de la JV) va tourner et distribuer des longs métrages pour la Chine et le monde entier. CMC financera (51% des parts) et ouvrira son vivier de légendes, talents et paysages. Warner fournira scenarios, acteurs et son réseau de distribution. Cerise sur le gâteau, Flagship aura un client privilégié : la chaîne hongkongaise sinophone TVB (filiale de CMC), qui détient 10% des parts de Flagship.
L’idée n’est pas exactement nouvelle – un nombre de coopérations sino-étrangères, y compris françaises ont éclos ces dernières années. Mais le moment rend cette vague plus excitante que jamais. La jeunesse chinoise qui s’enrichit, s’ennuie, d’autant que son accès à l’information est aussi muselé que celui au cinéma ou à l’audiovisuel. Or, la Chine urbaine de demain, affranchie du souci de subsistance et ayant dit adieu au plein emploi, sera avide de loisirs.
Dès lors, elle exprime une soif de TV (2000 réseaux câblés et des dizaines de chaînes), d’internet sur ordinateur ou smartphone (près d’un milliard de spectateurs, entre les deux).
Rien qu’au cinéma, le box-office chinois engrange 4,8 milliards de $ en 2014 (+34%), là où l’Amérique du Nord avec 10,4 milliards, recule de 5%. Warner et CMC donnent quatre ans aux salles obscures chinoises pour passer n°1, en terme de recettes. Dès maintenant, comme pour s’y préparer, des milliers de PME produisent des films en tous genres ; d’autres adaptent, traduisent, re filment des séries issues de Corée, Hong Kong, Taiwan…
Autre grand coup de gong de l’univers anglo-saxon du divertissement : le 18 septembre, Rupert Murdoch était reçu à Pékin par le chef d’Etat.
C’était frappant car le magnat australien des média revenait de loin, beaucoup plus loin que Warner. Qu’on se rappelle : en 1993, mal informé sur les chances réelles de la TV par satellite d’atteindre les foyers chinois sans le consentement de leurs dirigeants, Murdoch avait lancé son groupe en croisade solitaire, pour la « liberté de la presse par satellite, contre le totalitarisme ». Isolé et banni, il payait encore cette erreur 13 ans plus tard, en 2005, alors chassé d’une JV avec Netcom, réseau de télécom mineur… Le renversement d’attitude du régime à son égard s’explique par la conscience claire chez Xi, des besoins futurs chinois en « culture de masse ».
Xi a assuré Murdoch que « la Chine poursuit son ouverture aux media étrangers, bienvenus… » Un comble, quand on sait que le Wall Street Journal, fleuron de son groupe News Corp, reste interdit en Chine en dépit d’une ligne éditoriale modérée et tout sauf anti-chinoise.
Mais Murdoch, n’était pas venu à Pékin que pour voir le chef de l’État. Il annonçait aussi une synergie avec Xiaomi, n°1 du smartphone en Chine : l’étoile filante du secteur, dernier venu qui vend au tiers du prix d’Apple ou Samsung et réalisait 80 millions de ventes en 2014 – son dernier Mi 4c, sorti le 22 septembre, à un prix étiquette de 1300 à 1500 yuans. News Corp fournira du contenu digital exclusif, en chinois en vente exclusive aux porteurs de Xiaomi.
C’est conforme au vœu de Xi Jinping d’offrir au peuple du film et des jeux en abondance. Et News Corp pourra utiliser Xiaomi comme tremplin vers d’autres partenaires locaux.
Par cette audience courtoise, Xi a certes pu vouloir ravaler son image à bon compte, un pied sur le marchepied de son avion vers la Maison Blanche, et se peaufiner une image éphémère de démocrate. Mais au-delà de ces deux contrats, on est tenté de décrypter un projet politique audacieux : accueille-t-on les bras ouverts deux géants américains du divertissement, refoulés aux portes de la Chine depuis 15 ans, pour finalement se plier à la censure ? Il est permis d’en douter. Le vrai but ne peut être que parvenir au bon niveau de technicité et de qualité dans la création culturelle—ce qui ne va pas sans liberté de création et ouverture à l’influence étrangère.
A tout le moins, on s’émerveillera du chemin parcouru, depuis la guerre froide de 1993 et l’ouverture de 2015, entre l’Est chinois et l’Ouest américain. Aujourd’hui, dans l’oubli des grandes envolées idéologiques, on ne veut plus, des deux côtés, que deux choses simples : faire de l’argent et amuser les masses.
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