Aviation : COMAC en Thaïlande – un leasing stratégique

Le grand départ s’approche pour l’ ARJ21, premier né de COMAC, le consortium aéronautique d’Etat. Bâti à Shanghai, ce moyen courrier de 70-90 places verra sa 1ère livraison le 28 novembre, à Chengdu Airlines, filiale de COMAC. Il était temps, après 13 ans de travail, dont 8 de dépassement d’agenda. L’entrée en service chez Chengdu est pour février. 

La grande nouvelle, le 17 septembre en marge de 2015 Aviation Expo (Pékin), est l’annonce de 10 commandes d’ARJ21 par City Airlines, compagnie thaïe, en leasing chez la branche aéronautique de la banque commerciale ICBC. 

City optait aussi pour dix C919, second fer au feu de la COMAC, un « petit cousin » de l’A320 d’Airbus (1ère sortie au 25 octobre). Ces déclarations d’intention portaient les commandes chez COMAC à plus de 300 ARJ21, et 520 C919. Et, fait plus marquant, City Airlines était le 1er client réellement étranger, si l’on excepte Puren, start-up sino-allemande, et GECAS, filiale de General Electric. 

À y regarder de plus près toutefois, ce deal pose bien des énigmes : 

(1) La date de 1ère livraison, juin 2017 semble impossible : d’ici là, tous les appareils sortant de cette chaîne à capacité encore faible, sont déjà alloués. L’appareil de City devra sans doute être prélevé sur le quota de Chengdu Airlines, « déshabillant Paul pour habiller Pierre ». 

(2) S’agit il d’une location ou d’une vente, et (3) à quel prix ? Ce dernier (si prix il y a) devrait être très attractif. « Des dizaines de % moins cher que la concurrence directe (le E-175 d’Embraer qui truste 52% du marché) », évalue ce professionnel du leasing. Il faut un tel « prix d’appel » pour intéresser les exploitants à un appareil encore certifié seulement en Chine (la certification FAA est en cours), sans vécu inventorié, ni garantie d’un SAV solide. 

Autre souci : issu du bon vieux DC9 du siècle dernier, l’ARJ21 souffre d’un design dépassé. Quoiqu’allégé depuis, il reste lourd – même si ce travers est compensé par un équipement compétitif – moteurs GE dernier cri. 

(4) Sur l’exploitant City Airlines, le mystère s’épaissit encore : sa seule ligne est Bangkok-Hong Kong, suscitant l’hypothèse d’une compagnie – écran enregistrée en Thaïlande mais de capitaux chinois. C’est en tout cas un transporteur habitué à vivre entre trous d’air et turbulences financières : Logistic Air, autre de ses bailleurs d’avions, reprenait le 18 septembre, son B737-400 confié en location 3 mois plus tôt, pour défaut de paiement. Et après BCI et AAR, Logistic Air est le 3ème leaseur en deux ans, à casser un contrat avec City Airlines, pour cette même raison. Ce qui n’empêche ICBC, pas découragé, de confier 20 appareils à ce mauvais payeur. 

Aussi ce leasing apparaît moins commercial qu’éminemment stratégique. Il pourrait aussi résulter d’une offre politique que Bangkok ne peut pas refuser à Pékin, par exemple au titre de compensation « hyper généreuse » dans le cadre d’un autre contrat : la ligne ferroviaire Nong Khai-Bangkok-Rayong, dont le chantier débutera en décembre. 

En tout état de cause tout se passe comme si la COMAC, avec City Airlines (comme avec Puren ou Chengdu Airlines), investissait à perte pour faire voler ses avions de par le monde, histoire d’habituer le marché à sa présence. Le but, à moyen-long terme, étant d’offrir une gamme d’avions compétitifs, puis de chasser sur les marchés d’Airbus et de Boeing. 

Au même moment le 21 septembre, Fabrice Brégier, Président du consortium aéronautique européen, effectuait un discret voyage en Chine. Sans doute pour annoncer la sortie d’un système « Sharp », permettant aux A320 de réduire la longueur de la piste d’atterrissage à 1300m. 

En même temps, Airbus livrait à China Eastern son cinquantième A330, configuré pour recevoir 30 passagers en classe « affaires » et 203 en « économie ». 

Surtout, le président du groupe pouvait venir lancer le projet, signé le 2 juillet, d’une seconde usine à Tianjin, dédiée à la finition et distribution de des A330 long-courrier, en plus de celle consacrée aux A320. Cet été, F. Brégier se félicitait d’une délocalisation ayant permis à Airbus de porter de « 30 à 50% » ses parts du marché chinois. Et le 14 septembre à Mobile (Alabama), il inaugurait une chaîne de montage Airbus, s’assurant ainsi d’une part de cet autre segment essentiel du marché mondial. 

Cette stratégie, Boeing la refusait depuis 10 ans. À présent, vu les résultats d’Airbus en Chine, il semble devoir y venir. Tandis que Xi Jinping visitait le QG de Seattle (22 septembre), son CEO D. Muilenburg confirmait le projet d’ouvrir à Zhoushan (Zhejiang) une usine de finition des B737 : « Pour résister, nous devons nous adapter… nous diversifier à travers le monde, avec des collaborations dans toutes les régions du globe ». 

Ces paroles donnent l’impression d’un modèle industriel désormais quasi-identique entre les deux ténors mondiaux, et vise à résister à une arrivée chinoise désormais inévitable. La différence par rapport à hier, est qu’il tente de le faire en intégrant la Chine, plutôt que de l’exclure derrière une illusoire Grande muraille industrielle.

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