C’était pour Xu Mouzhong et ses amis un point d’honneur : pas question d’arrêter de jouer. Dans le jeu comme en affaires, il fallait savoir prendre ses risques. Sans courage viril, on coule. Aussi à présent, il fallait s’accrocher – la victoire finirait bien par revenir.
Avec cette mentalité, ils poursuivirent les parties, si bien qu’au moment du Nouvel An chinois, leurs pertes avaient fait boule de neige, atteignant 47 millions de yuans. C’était à ne rien y comprendre : ils essayaient tout, potassaient les manuels, changeaient de tactique et de place à la table, mais rien n’y faisait. Zhang et Zhou, leurs adversaires professionnels, finissaient toujours par leurs rafler leurs bonnes pièces, puis déposer avant eux, pour rafler la mise. Début mai, ils se retrouvaient allégés de 125 millions de yuans, dont un tiers pour Xu seulement : les richards, le visage long comme un jour de pluie, l’avaient mauvaise.
Disons le ainsi, la perte en soi, ne leur faisait pas plus d’effet qu’une piqûre de moustique. Par contre, leurs chargés d’affaires commençaient à les avertir : le récit de leur débandade faisait florès en ville, et cela était dommageable pour leur bon renom. Mais de là à imaginer qu’ils aient été victimes d’une arnaque, tels de vulgaires pigeons, c’était indigne de ces hommes au pinacle de l’économie nationale, qui faisaient la pluie et le beau temps en bourse.
Le 14 mai, prenant le taureau par les cornes, Xu Mouzhong, taraudé par le doute, fit visiter à un détective privé leur garçonnière – ce fut le jour de la grande révélation.
Il ne fallut que cinq minutes au limier pour détecter dans le camaïeu rococo du plafond, invisibles à l’œil nu, deux cameras digitales à haute définition. Les champs de vision permettaient d’embrasser les jeux des 4 joueurs. Alimentées par mini-batteries, elles émettaient en continu par un long fil servant d’antenne, planqué dans les moulures. Derrière la baie vitrée, à l’extérieur, l’homme de l’art trouva ce qu’il cherchait : un petit réémetteur wifi.
Dès lors, le sort des escrocs était scellé – mais sur le conseil du policier privé, Xu et ses compagnons décidèrent de temporiser. Le détective se contenta de tourner les objectifs, et dérègler la profondeur focale des appareils, pour décentrer l’image et la rendre floue. Puis ils attendirent…
Le prochain rendez-vous était prévu pour le 18 au soir.
Ce matin-là, accompagnés de deux complices, après avoir constaté la défaillance de leur système, Zhou et Zhang s’introduisaient dans la villa déserte, pour remettre le circuit en état. Et bien sûr, à peine l’un d’eux juché sur une échelle pour rétablir la caméra, qu’une demi-douzaine de policiers faisaient irruption pour procéder au flagrant délit.
Se mettant à table dans l’espoir de l’indulgence des juges, un des techniciens avoua sur le champ, permettant aux inspecteurs, 5 minutes plus tard, de cogner à la porte d’un appartement à 200 mètres de là, sur le site d’un practice de golf, et d’y cueillir Lin, le cerveau mathématique, dictant aux bandits tous leurs coups gagnants.
Comme il transparaît du rapport d’instruction, les bandits avaient converti le petit local loué en une formidable caverne d’Alibaba informatique. Le flux des caméras apparaissait sur un moniteur géant. À longueur de partie, Lin introduisait les jeux de chaque joueur dans son puissant ordinateur. Un logiciel expert identifiait les meilleures combinaisons, et les tuiles à jouer pour gagner. Ces instructions étaient retransmises vocalement aux fraudeurs, au moyen d’oreillettes invisibles, insérées dans leurs oreilles internes.
Les données visuelles étaient complétées par quatre capteurs sous le tapis de jeu qui reconnaissaient chaque tuile au poids (très légèrement différent, du fait des dessins chacun unique, et du matériau évidé par la gravure).
Le procès a débuté après quelques mois, le 29 juillet – le verdict n’est pas encore connu.
Il permit d’établir que Zhou, le second joueur, était le chauffeur de Zhang, lequel loin d’être un champion, était un repris de justice, ayant déjà fait 11 ans de taule pour trafic d’armes. Les comparses, menu fretin recruté en chemin, ont rendu leur cachet – 90.000 yuans, une misère, vu l’argent engrangé et le risque encouru.
Crânement, les deux leaders – Zhang et Lin nient tout ce qu’ils peuvent et surtout, refusent obstinément d’avouer où ils ont planqué le magot, perçu au fil des nuits. A ce que l’on croit, ce serait à Hong Kong, la ville voisine.
Ils ont la certitude d’en prendre pour le maximum, 20 ans. Mais quand on vient d’empocher à deux, 20 millions de dollars, la vie prend un tout autre sens : quand on sortira, on aura pour de vrai, de quoi « réaliser le rêve de Nanke » (Nánkē yīmèng , 南柯一梦) c’est-à-dire en français, bâtir des châteaux en Espagne !
Sommaire N° 32 (XX)