La
catastrophe de Tianjin (zone de Binhai, 12 août) a propagé une onde d’angoisse sur tout le pays : qu’un tel désastre chimique, dû à la corruption et au laisser-aller, ait pu avoir lieu au cœur du second parc industriel du pays, est insupportable. Du coup, la prise de conscience écologique s’accélère. <p>Zhang Gaoli, vice 1er ministre, du Comité Permanent (le pouvoir suprême) promet « une explication honnête » et transparente. Pan Yue, vice-ministre de l’Environnement, reçoit la charge de la révision de la loi d’évaluation des projets. Pan est un homme brillant, connu pour son dynamisme et sa probité : lui confier cette mission stratégique, est un gage que l’environnement cesse d’être la 5ème roue de la charrette. Pékin fait aussi arrêter Zhang Lijun, ex vice-ministre de l’Environnement, accusé de triche dans la certification automobile – une preuve du sérieux de l’Etat à sévir à l’avenir contre les cadres indélicats.Ensuite, alors que depuis deux ans Miao Wei, ministre de l’Industrie et des Technologies de l’Information, avoue faire du sur-place dans son effort pour améliorer la sûreté des zones industrielles, voilà que dans la semaine suivant l’accident de Binhai, 1000 parcs chimiques déposent des plans de remise aux normes, souvent assortis d’une délocalisation. Commentaire de Miao : « ces parcs ont coûté 400 milliards de ¥. Pour financer leur déplacement, il faudra 10 ans ». Mais ici, le fait remarquable est que tous les obstacles à cette refonte, les problèmes géotectoniques, les résistances des riverains, les blocage de provinces craignant des fermetures… tout a disparu comme par magie !
Il faut dire qu’après la catastrophe de Tianjin, tout accident provoque des réactions à vif, tant chez les cadres que dans la population : après la dernière explosion à Lijin (Shandong, 1 mort, le 1er septembre), 6 patrons de cette usine chimique coupable furent embastillés.
Par 154 voix contre 4, le Bureau de l’Assemblée adopte la révision de la loi de pollution atmosphérique. Le nouveau texte ouvre la voie aux crédits-carbone (quotas d’émission de CO2) et rend les pouvoirs locaux responsables du contrôle des émissions.
À vrai dire, cette nouvelle mouture de la loi est jugée décevante par les experts, en raison d’un bien curieux amendement qui annule un acquis écologique : les édiles viennent de retirer aux villes le droit de limiter la circulation des véhicules, estimant que « les droits des automobilistes valent plus que la pureté de l’air ». Les élus, à ce qui semble, ont prétendu défendre le citoyen contre l’arbitraire de l’Etat – et très probablement, protéger les intérêts des lobbies automobiles !
D’autres avancées environnementales sont heureusement là pour balayer ce « couac » :
– la branche pékinoise de WWF prédit que l’empreinte carbone chinoise atteindra son pic en 2029, à « 2,9 hectares globaux » par habitant. L’ONG anticipe donc d’un an la fin de la hausse volumique des émissions de gaz à effets de serre – l’Etat s’est fixé comme limite 2030, un an plus tard. Surtout, WWF adopte ce concept d’« hectare global par habitant », bien plus précis et scientifiquement pertinent. Selon les choix qui seront faits sous peu au 13ème plan (2016-2020), WWF voit d’ailleurs la Chine amorcer sa redescente carbonique dès 2027, donc deux ans plus tôt, et sous une empreinte plus mince, réduite à 2,7 hectares globaux par habitant…
– autre démarche intéressante : associée au Bureau Pékinois de l’Environnement, IBM prépare pour la capitale et une autre ville du Hebei, un logiciel d’intelligence artificielle capable de manier des dizaines de paramètres et centaines de données pour prédire la pollution, de manière 30% plus précise que tout autre modèle. Cet outil pourra évaluer quelle pollution affectera telle zone, à un kilomètre près et 10 jours à l’avance. L’algorithme pourra surtout conseiller où, quand, et de combien réduire les émissions du trafic et/ou de l’industrie, pour prévenir smog et pollution hors contrôle.
Ces deux efforts en JV avec l’étranger privé viennent en support des plans d’action mis en branle cette année contre la pollution de l’eau et celle de l’atmosphère. Selon la Banque Centrale, ils coûteront ensemble 2000 milliards de ¥ par an d’ici 2020.
Le plan d’action « dépollution du sol » est en cours de rédaction par l’équipe du professeur Lan Hong de l’université Renmin. Le pays dépense déjà 40 milliards de ¥ par an en réhabilitation. Il faudra décupler l’effort, « à moins de mettre 1000 ans à atteindre l’objectif », déclare Lan Hong !
En dépit de ces avancées, Chen Jining, le ministre en fonction, ne fait nul triomphalisme. « De janvier à juin, affirme-t-il, 30.000 entreprises ont été surprises à réaliser des constructions illégales, aggravant encore davantage le dégât écologique ».
Au moins, le camp environnemental a désormais un atout en poche : l’état de choc du pays après Tianjin, et l’argument que sous sa voilure présente, le navire Chine en pleine tourmente, va droit aux récifs – l’heure est aux grandes décisions.
Sommaire N° 30 (XX)