Dédiée au 70ème anniversaire de la fin de la seconde Guerre mondiale et à la victoire sur le fascisme et le Japon, la parade de la paix s’est tenue le 3 septembre à Pékin, au terme de plusieurs mois de préparatifs, sans rien épargner pour faire un sans faute aux yeux du monde. Même l’azur du ciel d’été indien avait été généré par des centaines ou milliers (le chiffre est resté secret) de fusées aux sels d’iodure d’argent, crevant les nuages en pluie artificielle, nettoyant le ciel – juste pour les festivités.
Côté sécurité, rien n’avait été laissé au hasard : des dizaines de milliers de volontaires en bleu turquoise et casquettes rouges occupaient les rues, en soutien de la police en gris et noir, anti-émeutes en tenue noire de combat, police armée en kaki à baudriers blancs… De la sorte, Xi Jinping pouvait accueillir ses hôtes, tels Vladimir Poutine, Park Geun-hye la Présidente sud-coréenne, ou Laurent Fabius, le MAE français, venu assurer le soutien chinois lors des palabres pour un traité international climatique COP21 à Paris fin novembre. Après les 70 coups de canon, Xi laissait le 1er ministre Li Keqiang ouvrir la fête, avant d’inspecter les troupes à bord de sa limousine « Hongqi », distribuant les remerciements : « Camarades, merci de votre peine ». C’était le remake de tous les leaders chinois depuis Mao, en passant par Jiang Zemin et Hu Jintao — comme pour cultiver l’image d’un Parti ayant pieusement conservé ses pratiques révolutionnaires . Suivait le programme attendu, savamment fuité à l’avance : les 67 détachements militaires chinois ou étrangers au pas de l’oie, les dizaines de variations de chars de combat (lourds ou légers, amphibie, porte-radars), les transports de troupe, la gamme de missiles avec leurs lanceurs, les hélicoptères de combat, les drones, chasseurs bombardiers, avions de reconnaissance ou de recharge en carburant.Un détail en dit long sur le chemin parcouru par Xi, en terme de pouvoir : il crée cette fête annuelle toute à sa gloire, s’offrant ainsi « sa » parade dès son 1er mandat – Jiang et Hu avaient attendu leur second pour s’en octroyer une. D’autre part « son » défilé compte 12.000 soldats, 2000 de plus par rapport à la parade de Hu en 2009.
Bien des média occidentaux ont vu dans cette parade une démonstration de force (contre les nations objectant au redéploiement maritime militaire chinois), ainsi qu’un écran de fumée pour faire oublier au peuple les drames cuisants de l’été – l’accident chimique de Tianjin, le krach boursier. Rien de tout cela n’est faux, mais l’enthousiasme de la rue, nous force à modifier notre regard sur la parade : Pékinois comme provinciaux de passage, et dans tout le pays, via les réseaux sociaux, les (télé-)spectateurs exprimaient leur fierté. « Ce n’est pas Xi qui a besoin de cette fête, déclarait cette étudiante, c’est nous, pour ressentir notre union nationale, et les réalisations de notre patrie ».
À y réfléchir, on voit là un genre de « ligne de partage des eaux » entre sensibilité chinoise et occidentale. Là où l’Européen voit l’injustice d’une fête élitaire réservée aux seuls 47.000 édiles et invités, le Chinois ne voit que du normal, la rencontre jubilatoire d’une grande « famille » dirigée fermement par ses chefs, faisant rejaillir sur eux dignité, puissance et prospérité. Tout en pouvant avoir des griefs envers le régime, le Chinois lui en est, sur le fond, reconnaissant. Une telle image peut déranger à l’Ouest, car elle fait l’impasse sur la démocratie. Mais il faut l’intégrer, pour qui veut comprendre la Chine.
Sommaire N° 30 (XX)