Le conflit maritime qui couvait depuis des années entre Pékin et les Etats-Unis a soudain explosé à Singapour au sommet « Shangri-La » de sécurité de la zone Pacifique, les 30-31 mai.
Ashton Carter, Secrétaire d’Etat à la Défense, reprocha à la Chine d’occuper depuis 2014 neuf atolls en mer de Chine du Sud, d’y installer deux aéroports – capables de recevoir des chasseurs bombardiers—et plusieurs batteries de canons mobiles.
Dénonçant ces actes « non conformes au droit international », il déclara que ces travaux lourds ne conféraient nulle souveraineté à la Chine sur cette mer et que les USA prendraient « toutes mesures nécessaires pour défendre la liberté de navigation et de survol de la zone ». C’est la déclaration d’intention la plus forte de Washington depuis que la Chine s’est lancée dans son expansion en mer à 2000km de chez elle. Cette déclaration signifie que Washington réagira à toute tentative par Pékin pour faire régner sa loi sur cette mer –et que Pékin risque de ne rien pouvoir faire de cet investissement en milliards de yuans.
En même temps, Carter annonçait une « initiative sécuritaire maritime » pour les pays riverains : 425 millions de $ en équipements paramilitaires « made in USA ». Après Singapour, Carter poursuivait sur Hanoi, où il signait le 1er chèque : 18 millions pour un achat de garde-côtes.
Le lendemain dans sa réponse, l’amiral Sun Jianguo, chef d’Etat-major, ne mâcha pas plus ses mots : la mer de Chine est possession chinoise « indiscutable ». « Licite et raisonnable », le chantier « améliore la fonctionnalité des îles, le travail et le confort du personnel », à mieux servir la communauté internationale en secours d’urgence et intervention après catastrophes. Il servirait la recherche scientifique, la météo, l’environnement, la sûreté maritime voire la gestion de la pêche.
Brandissant le bâton après la carotte, Sun envisageait aussi une Zone d’Identification de Défense Aérienne (ADIZ), pour forcer tout avion ou navire à se signaler à son entrée : la décision dépendrait « du degré de menace à notre sécurité aérienne et navale ».
En même temps, pas par hasard, le croiseur USS Shiloh (cf photo) mouilla aux Philippines à Subic Bay : une première, pour un bâtiment de la US Navy depuis 1991, laquelle y avait une base jusqu’alors. Manille qui, 24 ans plus tôt, l’avait fait partir, l’invitait à revenir !
Le Shiloh annonçait qu’il partirait pour une patrouille en escadre, avec destroyer et sous-marins, sans doute dans ces eaux objet du litige. En somme, tous les éléments étaient réunis pour une épreuve de force.
Avant le sommet Shangri-La, Pékin avait tenté de désamorcer l’offensive américaine. Le 27 mai, il publiait son « Livre blanc » de défense maritime . Le 26 mai, il inaugurait deux phares sur les atolls, précisant qu’ils ne servaient qu’au bien-être de l’Asie. Le 28 mai, il protestait quand un Poséidon de l’US Air-force survolait la zone à 12 milles des îles occupées. Par suite, il menaçait d’annuler la visite américaine de Xi Jinping en septembre .
Dès avril, la Chine tentait de restaurer les relations avec le Japon, mauvaises depuis plusieurs années : Li Keqiang recevait une délégation japonaise le 14 avril, puis Xi recevait le 24 mai, à un banquet, 3000 visiteurs nippons, et les pays espéraient signer un genre de téléphone rouge entre militaires, en cas de tension autour des îles Diaoyu-Senkaku, possédées par le Japon mais réclamées par la Chine.
Une même « opération sourire » avait lieu vers le Vietnam, autre pays aux relations dégradées. Une délégation de Hanoi visitait Pékin (7-10 avril) afin de « rebâtir les liens », et Xi évoquait un « besoin mutuel » d’une nouvelle approche, pour « gérer et contrôler ensemble les conflits en mer ».
Comment ont réagi, lors du sommet Shangri-La, les représentants des autres nations, face à la joute des titans?
Lee Hsien Loong, 1er ministre de Singapour, se faisait l’interprète des Etats de l’ASEAN, disant qu’ils souhaitaient ne pas être forcés à prendre parti.
Le Vietnam par contre, non sans subtilité, invite (le 6 juin) 180 citoyens à une croisière payante, sur deux des atolls contestés par Pékin.
Kevin Andrews, ministre australien de la Défense, adjurait les riverains de signer d’urgence un code de conduite de la mer du sud.
La Russie disait discrètement qu’elle « se joindrait à des manœuvres maritimes multinationales » (chinoises) en mai 2016.
Au Shangri-La, un observateur fit cette remarque instructive : pour l’instant, Etats-Unis et Chine ont soigneusement gardé le flou sur leurs intentions.
Que veut au juste la Chine, en prenant ces îles ? Et quelle « ligne rouge » la Maison Blanche ne veut pas lui voir franchir, sous peine de lancer ses contre-mesures militaires ? Mettant la pression sur chacun, la nouvelle donne, va peut être forcer USA et Chine à sortir leurs cartes
Sommaire N° 22 (XX)