Daigou (代购) est un petit métier qui fait fureur ces derniers temps : celui de l’étudiant chinois en Europe, qui achète des produits de luxe et les envoie par la poste aux commanditaires leur permettant faire de substantielles économies (20 à 40%) par rapport aux tarifs boutiques en Chine.
D’après le groupe Bain, en 2014, la bourgeoisie chinoise s’offrit pour 62 milliards de dollars de tels produits, dont 15% par Daigou, 55% en achats en Occident, et moins d’un tiers au pays. Toutes emplettes confondues, ces dépenses des touristes chinois (luxe et non-luxe) explosent : l’an dernier, la tutelle des devises SAFE évoque 165 milliards de $ (28% de plus qu’en 2013), et 90% des voyageurs avaient acheté des crèmes et parfums, 85% des habits et chaussures, et 64% des produits pour bébé.
Tout cela pour dire que le 1er juin, le ministère des Finances, sur ces produits, a rogné ses taxes à l’import de moitié en moyenne : de 5% à 2% pour les cosmétiques, et de 7,5% à 2% pour les couches. Curieusement, il a omis dans sa liste les vins et spiritueux, quoiqu’ils occupent une forte place dans ces budgets-vacances, pour les cadeaux destinés aux proches – sans doute pour cause de campagne anti-corruption, afin de ne pas encourager le redémarrage de ces produits « sulfureux » dont il tente depuis deux ans de freiner la consommation.
NB : Il est improbable que cette réduction des prix des produits étrangers éradique les achats hors frontières, car ils y restent meilleurs marchés même après la coupe—et le touriste chinois ne s’y trompe pas.
En même temps, le Conseil d’Etat publiait un appel d’offres pour un total de 318 milliards de $ et 1043 projets « PPP », ou les investisseurs privés et publics réunis en consortium bâtissent et exploitent l’équipement 20 à 30 ans avant de le voir retourner au domaine public.
À travers 29 provinces, les 1043 projets sont de tous les secteurs : systèmes d’irrigation, routes, écoles, protection de l’environnement. Guilin (Guangxi) bâtit un centre de conditionnement de déchets médicaux à 20 millions de $. Hangzhou (Zhejiang) vise deux lignes de métro à 8,5 milliards de $. Pékin aussi (lignes 14 et 16), ainsi qu’une usine de filtrage des eaux usées à Fengtai. Sept barrages ou canaux se préparent au Sichuan, et plusieurs lignes ferroviaires au Shandong. Urumqi (Xinjiang) s’offre un hôpital à 960 millions de $. 12 projets sont classés « pilotes », destinés à évaluer des politiques futures dans les 24 mois à venir. Yangzhou (Jiangsu) s’offre un complexe de sources chaudes à 60 millions de $.
Ces projets sont ouverts aux banques, fonds de pensions, assurances et autres poids lourds. Auteur du plan, la NDRC ne précise pas s’ils sont accessibles aux compagnies étrangères. Seront-ils attractifs, avec les taux d’intérêts réels élevés (8 à 10%), sous l’effet de la déflation (-4,6% en avril) ? L’Etat compte soutenir ces projets par exemptions d’impôts, licences accélérées, et autres bonifications ,en plus de sa garantie de bonne fin.
Les 318 milliards de $ attendus de ces investisseurs privés-publics, sont censés renforcer de 20% les investissements en équipements fixes, vitaux pour permettre au pays d’atteindre son objectif de 7% de croissance pour 2015 – ces investissements fixes n’avaient crû que de 10% en avril, record de faiblesse en 12 ans.
Une inconnue, ici, est la participation -potentiellement cruciale- des petits épargnants. Comment les convaincre d’apporter leur argent à ces projets à long terme, par exemple au titre de retraite complémentaire ? La NDRC reste avare de détails.
Ces deux plans financiers ont pour objet de relancer le commerce, faire circuler l’épargne et ce faisant, diluer les dettes des provinces (3 trillions de $) et des entreprises (12,5 trillions de $). Selon McKinsey, ces arriérés causeraient aux firmes des intérêts réels de 1,35 trillion de $ par an (soit un PIB du Mexique), et plus que leurs profits attendus dans l’année. Elles tournent donc structurellement à perte.
Ces efforts de relance arrivent à un moment tendu. L’immobilier, un des piliers de la croissance, a vu ses prix s’éroder de 6%. Yukon Huang, l’ex-patron de la Banque Mondiale en Chine, évalue que la baisse va se poursuivre jusqu’à 10%. Les profits industriels ont baissé aussi au 1er trimestre de 2,7%, traduisant la surcapacité qui frappe 15 des 29 grands secteurs (avec un taux d’utilisation de moins de 75%).
Malgré ces signaux oranges clignotants, bien rares sont les experts à prédire en Chine l’Apocalypse proche. On souligne au contraire la logique positive de l’Etat qui, résistant à la vieille tentation de la planche à billets, veut payer le prix pour réconcilier croissance et profit, laissant faillir des centaines d’usines. Et surtout, le gouvernement vise une reprise de la consommation. En 2014, celle-ci n’atteignait que 37% du PIB, un des plus bas taux des grandes économies mondiales (Europe et Etats-Unis tournent autour de 70%, près du double). Il y a là pour la Chine un formidable volant thermique de croissance —à condition d’éviter en chemin le piège d’un effondrement du crédit.
Sommaire N° 21 (XX)