Editorial : Charlie à Pékin

L’attentat contre Charlie Hebdo, le 7 janvier à Paris, a pris Pékin de court. Le gouvernement s’est trouvé entre deux feux, qu’il redoute aussi ardemment l’un que l’autre : la liberté de la presse et l’intégrisme islamique. Aussi le 8 janvier, la Chine a condamné « durement » l’attentat, se disant « profondément choquée ». Xi Jinping a appelé son homologue François Hollande pour condamner « résolument le terrorisme sous toutes formes », tout en exprimant ses condoléances aux familles des victimes. Xi a aussi témoigné son soutien à la France, dans ses efforts pour maintenir « la sécurité nationale » – passant sous silence la « liberté d’expression ». Par la suite, dans la presse et sur internet, le régime s’est démarqué – sympathie oui, solidarité non.

Il peut être instructif de se pencher sur les raisons qui justifient ce distinguo et le refus des leaders de s’associer à la marche républicaine de Paris, avec 50 autres chefs d’Etat (11/01) : D’abord, l’ Agence Xinhua rappelle que dans le passé, Charlie Hebdo a été qualifié de « grossier et sans cœur » en s’attaquant à l’ Islam à travers ses dessins de Mahomet (ce qui est sacrilège), et va jusqu’à dire que « bien des religions ont leurs tabous… Une satire sans nuances ni principes, l’humiliation des autres ET la liberté d’expression – rien de tout cela n’est acceptable ». En faisant cet amalgame malicieux de concepts, Xinhua oublie de préciser que le Parlement d’Urumqi (capitale du Xinjiang) interdit aux femmes le port du voile dans les lieux publics, et aux hommes celui de la barbe – exacerbant ainsi les tensions à l’Ouest du pays. 

DashixiongAutre critique : observant F. Hollande s’exclamer le jour de la marche, que Paris était ce jour-là la « capitale du monde », un bloggeur remarqua d’un ton acerbe que « personne n’avait érigé Kunming (Yunnan) en capitale mondiale après la tuerie de 29 personnes sur son sol par des terroristes islamiques, le 1er mars 2014 ». Mais un autre internaute répliqua en signalant qu’après le drame de Kunming, la Chine elle-même avait découragé toute manifestation de soutien par crainte de débordements – aucune mobilisation étrangère ne pouvait donc être exprimée. De même, un autre bloggeur s’inquiète de voir Xinhua « tenter de trouver des excuses aux terroristes hors du territoire, quoique nous soyons nous-mêmes victimes du même fléau ».

Fan Zhongxin, professeur à Hangzhou (Zhejiang), remarque parmi les leaders présents à la marche républicaine, le Palestinien Mahmoud Abbas et l’Israélien Benjamin Netanyahou. Il voit dans cette rencontre de deux vieux ennemis, un symbole d’union pour la paix mondiale face au terrorisme. « Mais, se demande-t-il, où était la Chine, ce jour là ? Voyez-vous l’écart qui nous sépare nous la Chine, du reste du monde » ? Et c’est peut être là qu’il faut chercher la racine du malaise chinois : cette marche a eu lieu, elle a uni le monde. Et pendant ce temps, la Chine était obligée, de par son idéologie, de s’en tenir à l’écart.

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