Géopolitique : Première Route de la soie, direction le Pakistan

Bien préparée, la visite de Xi Jinping à Islamabad (20-21/04) fut menée avec éclat, présentée comme le « 1er mouvement d’une symphonie des nouvelles Routes de la soie ». Parlant du Pakistan en effet, son allié historique, et des débuts de sa nouvelle diplomatie économique « une ceinture, une route » (« yidai yilu, 一带一路), Pékin se devait de déployer un feu d’artifices d’investissements et de projets chatoyants, histoire d’emporter les suffrages de toutes les nations de la région. 51 projets furent signés, 45,6 milliards de $ de financements promis. Le jeu consista aussi à démontrer que la Chine, ici, n’est pas en quête de profits, mais d’engagement géopolitique à long terme. 

Le chef de l’Etat chinois présenta aussi un projet complexe d’axes ferroviaires et routiers, oléo- et gazoducs et faisceaux à fibre optique, sur les 3000km entre Kashgar (Xinjiang) et Gwadar (Sud du Pakistan, donnant accès au golfe Persique). Creusé par la Chine depuis 10 ans pour 250 millions de $, ce port combine les attraits d’un havre en eaux profondes aux portes du Moyen-Orient, raccourcissant et sécurisant les circumnavigations.
Dans un élan lyrique, Ahsan Igbal, ministre pakistanais prophétisait que sous 30 ans, cette route de l’Europe connectant les trois Asie Centrale, de l’Est et du Sud, desservirait 3 milliards d’habitants et serait plus fréquentée que celle via Malacca. 

Sur la ligne de crédits engagée, 37 milliards de $ iront dans 21 projets d’énergie. Le tableau reste fragmentaire, mais l’essentiel ira en centrales à charbon, telles ces deux unités « super critiques » de 660MW de capacité. Les 2,1 milliards de $ de l’investissement seront assumés à 51% par la China Power Construction Corporation, et à 49% par un groupe qatari.
Le consortium des Trois Gorges posera sur la Jhelum, à Karot, un barrage à 1,65 milliard de $ d’une capacité de 0,72MW (1er projet financé par le fonds « Routes de la soie). Par contre, la Chine a fait le choix de ne pas toucher à Diamer Basha, barrage à 12 milliards de $, contesté par New Delhi : c’est sagement, pour ne pas se laisser entraîner dans cette dispute. China Power aussi, et State Grid, le distributeur interviennent sur d’autres chantiers importants : ensemble d’ici 2018, ce sont 16GW qu’ils rajouteront au réseau pakistanais, doublant ainsi sa capacité.
30 autres projets iront à l’axe stratégique de route nord-Sud, au « Corridor sino-pakistanais  » traversant le pays pour le relier au Xinjiang. Parmi ceux-ci, 14 km d’autoroute, un aéroport international, des zones industrielles autour du port de Gwadar (qui recevra 750 millions de $) et d’autres métropoles (Lahore, Islamabad).
Quoique discrète, la composante militaire est bien présente : en mars, Islamabad et Pékin concluaient l’entente sur une commande de 8 sous-marins chinois modernes S20 (porte-missiles sol-air et lance-torpilles) pour 5 milliards de $. La vente inclurait une base d’entretien et d’attache à Gwadar, destinée aux sous-marins des deux alliés : une clause qui, si elle se vérifie, fâchera un voisin indien peu ravi de voir mouiller à ses portes une escadre chinoise capable de verrouiller le détroit d’Ormuz ! 

Au demeurant, cet ensemble de routes industrielles et de bassins portuaires intégrés se veut ouvert aux pays voisins, y compris l’Inde.
L’Iran prépare une raffinerie à Gwadar, alimentée par un oléoduc iranien. Le Turkménistan prépare un gazoduc de 1400 km (via l’Afghanistan) et un terminal d’exportation de son GNL vers Chine ou Asie… Narendra Modi, le 1er ministre nationaliste indien, est attendu en mai à Xi’an et Pékin : Chine et Inde aussi, veulent faire converger leur croissance en synergie, et la Chine ne cache pas son ambition, par l’investissement et l’équipement, de fusionner ce glacis asiatique enclavé et en guerre froide depuis des générations. Ce qui sera pour lui le meilleur moyen, au passage, de protéger « son » Xinjiang de ses démons extrémistes/séparatistes. 

Carte Kashgar GwadarCela dit, à cette 1ère route « modèle » via le Pakistan, les obstacles demeurent, nombreux et titanesques, laissant les observateurs (surtout occidentaux) dubitatifs. Telle l’inconnue sur la disponibilité en l’eau nécessaire aux centrales et usines projetées. Il y a ce Baloutchistan, la région de Gadwar où le séparatisme est endémique, comme les groupes terroristes du type Al Qaeda ou E.I … Comme solution, la Chine arme le Pakistan, qui promet de déployer des troupes d’élite pour protéger les travailleurs et biens chinois le long de la route. Mais rien n’est garanti. 

Surtout, il y a la corruption locale, ancienne mais qui explose ; la déliquescence des institutions, la méfiance en l’avenir. En 13 ans, les Etats-Unis, autre allié stratégique, ont déversé 31 milliards de $ au Pakistan, entre-temps en partie détournés sans avoir pu créer du développement.
La Chine aura-t-elle meilleure chance ? Peut-être, si ce concept de Routes de la soie et la présence chinoise parviennent à ranimer l’espoir – le temps que les usines se montent, que les profits apparaissent, et que la colle prenne.

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