Economie : Avis de tempête sur la distribution chinoise

Après 20 années de croissance effrénée, la distribution chinoise fait face à un « parfait orage », série de facteurs défavorables qui se renforcent mutuellement, forçant la consolidation du secteur.

La campagne anti-corruption tarit les ventes du luxe (joaillerie, habillement, restauration). L’épargne atteint des records, à 41% des salaires. L’inflation faible ou la déflation, pousse à reporter les achats, tout en forçant les commerçants à une valse constante des étiquettes—vers le bas. L’e-commerce détourne une part du marché toujours plus importante. Enfin, la hausse des salaires et des loyers grignote aussi les marges.

Les ventes en hypermarchés ont aussi reculé suite à la mise au ban en 2014 des cartes d’achats communément offertes aux employés, en complément de salaire hors taxe (fuli, 福利). La pratique a été interdite aux cadres publics, mais le patronat privé a suivi, trouvant l’occasion trop belle de compenser ses hausses salariales. 

Le résultat est cette tempête à travers la Chine depuis 2014. Jingdong (JD.com), l’e-commerçant, réalise 101 milliards de ¥ d’exercice, perd 5 milliards de ¥. Tesco, le géant mondial britannique, cède son réseau de magasins en Chine à China Resources. Au plan national, le prix de vente d’huile chute de près de 20%. Unilever, au 2nd semestre, perd 20% en ventes de lessives. 200 hypermarchés ferment dans l’année, dont 30 pour Wal-Mart. Seuls secteurs à résister : les produits « verts » et la pharmacie, l’automobile et les pneus (par anticipation sur les quotas de nouveaux véhicules dans les villes).

En 2014, pour ce qui est des ventes en ligne, la Chine perd son 1er rang mondial, conquis en 2013 : avec 238 milliards de $ de chiffre, les Etats-Unis reprennent leur titre. A.T. Kearney (07/04) attribue le recul chinois aux retards en infrastructures, aux faiblesses du service après-vente, et à une baisse de tonus des villes moyennes, sur lesquelles toute la distribution chinoise mise depuis 5 ans pour maintenir la vapeur.

Au demeurant, ayant grandi trop vite, le e-commerce chinois est rattrapé par ses propres mauvaises pratiques. Une équipe de chercheurs de l’Université du Delaware a suivi pendant deux mois 11.000 vendeurs sur les 8 millions que compte le site Taobao d’Alibaba. Ils en ont surpris 4.109 qui simulaient des ventes (pratique du ‘brossage’) pour renforcer fictivement leur référencement. En un mois, selon l’enquête, ils jouissaient de la notoriété qu’un commerçant honnête atteignait en un an. Or sur ces 37% de tricheurs invétérés, Alibaba n’en a repéré et puni que 2% : son mécanisme de police interne est en défaut !

Alibaba et son Président Jack Ma affirment vouloir endiguer la fraude, et les ventes de contrefaçons ou de produits légitimes, mais à prix cassés. Alibaba déclare dépenser 16 millions de $ par an, pour 2300 agents et 5400 inspecteurs volontaires. Sur Tmall, sa plateforme d’articles de marque (dont 5 à 10% de produits suspects), il n’admet plus que 5000 marques (chaussures, sacs, cosmétiques) et leurs revendeurs agréés.
Cependant, le ministère du Commerce s’énerve : depuis le 01/04, tout vendeur attrapé à faire de fausses ventes est passible de 150.000¥ d’amende. 

Mais l’Etat hésite encore, sur sa politique vis-à-vis du commerce en ligne : s’il le punit trop, il risque de compromettre l’émergence d’un secteur neuf, où la Chine pourrait prendre la 1ère place. Mais en fermant les yeux, il accepte que 70% des ventes en ligne ignorent ses licences, ses règlements sanitaires et surtout sa TVA de 15%, causant pour l’Etat et pour le commerce classique, une distorsion insupportable.

En tout état de cause, d’après un professionnel, ce commerce en ligne, en offrant la manutention et la livraison, n’est pas profitable : la pratique le ferait dans la plupart des cas travailler à perte, ce qui serait la cause primaire de ses difficultés à investir dans la logistique. Une conclusion s’impose : son business-modèle devra changer radicalement.

Et Carrefour, en Chine ? Pour Thierry Garnier son CEO, loin de croire que l’ère des hypermarchés est révolue, le groupe en prépare 15 nouveaux dans l’année : « bien gérée et contrôlée, la formule reste rentable ». Pour le groupe d’ailleurs, la Chine est déjà passé 1er marché mondial, avec 240 hypermarchés contre 210. Et avec 60.000 employés il est 1er employeur français du pays. 

À l’instar d’autres chaînes telles Wal-Mart ou Gome, Carrefour recherche la synthèse entre distribution classique et e-commerce. Déjà les 24 centrales d’achats en Chine sont en cours de concentration en six, avec recrutement de 2000 acheteurs, comptables ou camionneurs. Une génération de magasins de quartier, dits « Easy Carrefour » est testée à Shanghai (cf photo) depuis fin 2014, où la ménagère peut passer prendre le cabas qui l’attend, des denrées choisies et payées sur la boutique en ligne du groupe.

L’idée est de suivre pas à pas ces 649 millions d’internautes, dont 33% connectés en permanence et 58% deux à quatre fois par jour. Et d’inventer, pour cette Chine en pleine mutation, un nouveau commerce : vaste programme!

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