Après 141 ans, Schindler, le groupe helvétique d’ascenseurs et d’escalators doit se battre pour son existence – en Chine. Son 1er rang mondial en escalators est solide, mais en ascenseurs, il souffre depuis 20 ans.
Première société étrangère à établir une JV en 1980 au pays de Deng Xiaoping, les 10 premières années l’avaient vu caracoler. Mais en 2015, il n’est plus que 5ème derrière des concurrents tels Kone, Otis ou Shanghai Mitsubishi. Schindler a pâti d’un mauvais partenaire étatique, qu’il a mis des années à écarter. Toutefois, il a aussi souffert d’une incapacité propre à surfer sur la dynamique des années ‘90.
Pour les dirigeants actuels dont le lucernois Thomas Oetterli, l’heure du bilan approche. Faute de réaction immédiate, le retard pris en Chine peut devenir mondial, vu l’importance du marché chinois (65% de la demande mondiale en ascenseurs et escalators). Selon Oetterli, « sous 10 ans, quand la vague d’équipements en Chine sera passée, les positions des groupes sur ce marché, se répercuteront à travers le reste du globe ». Aussi depuis 2013, la course contre la montre est engagée chez Schindler-Chine avec l’ambition non dissimulée de reconquérir la 1ère place.
Schindler veut d’abord mieux dialoguer avec les clients, gros développeurs publics ou semi-publics bâtissant pour les mairies, provinces ou consortia. Le maître-mot ici est d’adhérer au marché, pour percevoir en temps réel l’évolution des besoins. Le groupe de Lucerne s’est aperçu que certains modèles très avancés, conçus en et pour l’Europe, ont fait un flop lors de leur introduction au Céleste Empire. Exemple, l’ascenseur sans cage de machinerie au sommet de la tour, s’y est avéré mal adapté. Compliqué à poser et à maintenir, il a été maudit par des promoteurs, anxieux de livrer vite les appartements, être payés et obtenir de nouveaux emprunts. Par ailleurs, ces constructeurs avaient besoin d’ascenseurs plus larges et performants, destinés à transporter toujours plus de passagers.
Pour se donner une chance de satisfaire plus vite le client, Schindler s’est donc astreint à réduire le temps de développement d’ascenseur (design, prototype, tests…), de 7 ans (en 2013) à… 37 jours.
Dans le même esprit de renforcement, le développement de produits pour la Chine, jusqu’alors l’apanage d’un service R&D à Lucerne, a été déplacé à Shanghai. De même quelques milliers d’emplois de production, ventes et maintenance seront créés sous 5 ans, en sus de 5000 existants.
Autre investissement, Schindler se dote à Jiading (Shanghai) d’un QG à 190 millions d’euros. D’ici 2016, il concentrera la production d’ascenseurs et escalators, la R&D Chine et Asie-Pacifique (800 ingénieurs), la finance… C’est un pari risqué, forçant des milliers d’employés à 3h ou 4h de transport par jour, sur autoroute congestionnée ou en métros bondés. Des services tel le marketing pourraient gagner à être plus proches de leurs clients au centre-ville. Toutefois, la direction a fait ce choix pour que ces métiers, en échangeant, réalisent plus vite de meilleurs produits.
Aux abords du QG, se dresse une étrange tour, étroite, haute et sans fenêtres : c’est la « test-tower », qui fera faire leurs 1ers voyages aux nouveaux modèles, sur 240m dont 40m sous terre.
Flambant neuve, l’usine d’escalators est un modèle du genre. Sur deux chaînes de montage, de poste en poste, des équipes de 6 déplacent et montent les escalators de 10m à 20m de long (cf photo). Chaque 16 minutes sur chaque chaîne, un escalator sort, prêt à partir pour les provinces, ou l’étranger (25%) : Inde, Amérique Latine, Europe… Aujourd’hui à 60 unités par jour, la production sera bientôt augmentée à 20.000/an (à 90 par jour), une fois en fonction la 3ème chaine. La montée en puissance est rapide : début 2015, l’usine ne tournait encore qu’à 60% mais aujourd’hui, elle est à plein régime.
L’ambition est aussi de multiplier les sites. Construire « ex nihilo » de nouvelles usines est possible, mais l’expansion la plus rapide est de loin le rachat de l’une ou l’autre des 380 usines d’ascenseurs ou d’escalators existantes en Chine, la plupart d’investissement local. Schindler semble s’y préparer. Le défi ici, est de faire le bon choix d’établissement, sous l’angle de sa position géographique, de son équipement et du potentiel d’amélioration, en personnel comme en matériel.
Finalement, la relocation de la R&D et la concentration des compétences sont la réponse stratégique apportée par le groupe pour se réinventer et regagner sa position de leader sur ce marché-clé. D’autres « vieilles » compagnies européennes ou américaines ont déjà usé de ce stratagème pour conquérir l’Empire du Milieu. Ainsi, la remontée de Schindler risque d’être intéressante à suivre, les années qui viennent.
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