La semaine passée, l’incendie de la centrale de Zhangzhou (Fujian) devint un des plus graves accidents en 10 ans.
Au départ (06/04), une fuite de pétrole qui s’enflamma, provoqua une explosion perçue 10 km à la ronde. De forts moyens déployés (au pic de la lutte, 131 camions rouges et 781 pompiers), ne purent empêcher trois redéparts de feu. Pour cause, le paraxylène (PX) produit par cette grosse usine du groupe taïwanais Xianglu, s’enflamme naturellement au-delà d’une certaine température. Aussi, dès que la couche de mousse carbonique des pompiers s’épuisait dans les 4 citernes touchées, plus de 40.000 tonnes de PX repartaient en flammes. Les dégâts sont gigantesques. Deux camions de pompiers ont été détruits, 14 pompiers blessés, et malgré les assurances des autorités, des infiltrations en sous-sol ne sont pas à exclure.
L’usine à 2,3 milliards de $ est évidemment pour longtemps hors d’usage. 29.000 riverains furent évacués en urgence, et des petites fermes d’aquaculture marine perdirent leur production.
Forte consommatrice de PX (14 millions de tonnes en 2014, dont 51% importées), la Chine va voir sa dépendance extérieure s’alourdir. Mais le pire est la perte de confiance de la population envers les pouvoirs locaux. En 2007, la mairie de Xiamen avait voulu forcer l’implantation de cette usine à 7 km de son centre-ville. Elle avait dû y renoncer sous la farouche résistance des citadins. Ma Jun, de l’Institut national de l’environnement, rappelle qu’à l’époque, les services publics avaient certifié la centrale « sans danger ». Mais à peine installée à 80 km plus à l’ouest, elle avait déjà connu dès 2013 un premier accident. Ainsi partout en Chine, les populations sont sous le choc, qui trahit des fautes de planification et de maintenance.
Et nombreuses sont les critiques sur la toile, appelant à résister collectivement aux projets locaux. Ce serait même parfois l’unique option, vu l’épée de Damoclès que l’impéritie des cadres fait peser sur la santé des gens.
Pas sans lien avec cette catastrophe, le 6 avril, jour de l’accident, une violente manifestation de 10 000 citoyens se déroula à Luoding (Guangdong) contre un projet d’incinérateur. Il y eut des blessés et des arrestations. Trois voitures de police furent lapidées. Le 8 avril, battant en retraite, la mairie publiait sur son site internet l’abandon du projet.
Paradoxalement, les déboires des provinces pourraient fort bien convenir à Pékin, voire, être un atout aux mains de Chen Jining , le nouveau ministre de l’Environnement. En général, ministères et agences du Conseil d’Etat rivalisent d’initiatives pour tenter de se faire obéir des niveaux locaux qui n’en font qu’à leur tête.
Mais Zhangzhou permet de pointer du doigt un manquement manifeste, où pouvoir central ET population doivent pâtir des fautes de quelques décideurs trop obnubilés par la croissance à tout crin et leur propre avancement. Or Chen, ancien président de l’université Tsinghua et de sa faculté environnementale, semble décidé à arracher son ministère à son apathie originelle. Aussi, il prend des mesures rigoureuses, et fait feu de tous bois.
Il vient de sabrer Xiaonanhai (Chongqing), projet de barrage sur le Yangtzé, projet coûteux (4 milliards de $) et d’un intérêt aléatoire, dont les permis avaient été arrachés par Bo Xilai avant sa chute.
Chen annonce aussi pour avril un plan strict de protection de l’eau, à 3 objectifs qui changeront la donne à travers le pays :
– rentabiliser les sociétés de recyclage, dont 30% (selon An Xin Securities) travaillent à perte. Dans les métropoles riches, dès 2015, l’eau courante augmentera par tranches graduelles de prix, pour inciter à l’épargne ;
– plafonner la consommation d’ici 2020 à 670 milliards de m3 ;
– réduire d’ici 2017 les effluents chimiques ou engrais. Et, par voie d’écotaxation dissuasive, ramener les cours d’eau de classe « 6 » (« impropre à tout usage ») à celle « 5 »
(« toxique au derme humain mais apte à l’irrigation »). Un tel plan semble bien ambitieux, quand on sait que 30% des réseaux aquatiques et 60% des nappes phréatiques sont contaminées, de source officielle.
Enfin, sur la pollution aérienne, Chen travaille à renforcer la bourse d’échange des crédits carbone, dits CCER, où des droits d’émission de CO2 sont reconnus, en échange d’investissements menant à des coupes d’émissions équivalentes. Les CCER permettent aux firmes ayant fait ces investissements « bas carbone », de revendre leur reliquat de quotas d’émission et aux autres, de les racheter pour respecter les leurs.
A ce jour, 14 millions de tels titres ont été émis, mais trop généreusement, faisant qu’en bourse, les cours planent bas. Pour y remédier, Chen vient de faire rejeter plus de la moitié des 54 projets récemment déposés, de demande de validation de CCER. C’est le signal que les règles, désormais, seront plus strictes et que les CCER devront se mériter. C’était pour Chen Jining, la seule manière de donner à ce système encore au berceau, une chance de réussir.
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