Les enquêteurs anticorruption de la CCID (Commission Centrale d’Inspection de la Discipline) visitent une à une, les entreprises d’Etat. Ils ont dévoilé des centaines de fraudes, suspendu des dizaines de CEO dans les firmes publiques et administrations. 180.000 procès d’accusés se suivent à travers le pays.
Derniers épinglés : Xu Jianyi, président de FAW (le partenaire de VW) et Liao Yongyuan, patron de la CNPC (Compagnie Nationale du Pétrole).
Après les comptes locaux des groupes, la CCID veut aussi éplucher ceux hors frontières. Surtout les actifs exportés par les 112 super-poids lourds de la SASAC (estimés à 700 milliards de $ fin 2013). De tels investissements requièrent les permis de diverses instances, mais une fois dehors, aucune ne peut vérifier leur usage réel. Or les contrôles actuels laissent déjà présager d’inquiétantes dérives. Aussi un appel d’offres est en cours pour choisir une société d’audit indépendante, enregistrée en Chine, sans liens avec ces géants.
Quoique finançant à bout de bras ses méga groupes, comme « piliers stratégiques de l’économie nationale », l’Etat s’inquiète sérieusement de leur qualité et compétitivité.
Selon l’économiste Zhu Chaoping, ces consortia, dopés au super-stimulus de 2008 (600 milliards de $ offerts sans conditions, contre la récession mondiale), ont vu leurs actifs prospérer de 90% de 2008 à 2012. Mais leur profit reste faible, 11,6% en 2013, contre les 25,7% des groupes privés.
Ainsi, d’ici fin mars, le Conseil d’État doit publier son plan Made in China 2025 (中国制造2025), de refonte de ces consortia. Inspiré du modèle national allemand, ce chantier envisage des investissements massifs vers le virtuel (internet) et la R&D. Il veut fusionner les firmes par clusters de compétences complémentaires, et y introduire un mode de gestion de type « compagnie d’investissements », visant la chasse aux gaspillages et une maximisation des profits.
Les capitaux privés sont appelés. Les grilles de salaires des cadres ne favoriseront plus l’ancienneté mais la performance. La fusion d’anciens rivaux doit permettre d’enterrer la hache de la guerre des prix. Pour boucler les budgets, il faudra oublier les aides publiques, et chercher l’argent en bourse, quitte à séduire l’actionnaire par des profits réguliers. Ainsi dynamisés, ces groupes devraient dès 2020, pouvoir reverser à l’Etat en impôts 30% de leurs profits, et non 15% (ou moins) actuellement.
Ce plan poursuit la vieille idée de Li Keqiang, de dégager des fonds pour l’ambitieux plan d’urbanisation (245 millions de migrants à intégrer), et les caisses de retraite (en déficit de 86 trillions de yuans en 2012), afin d’assurer toute une population en voie de vieillissement rapide.
En 2014, plusieurs fusions ont été ébauchées, telles celle de CNR/CSR (matériel ferroviaire) ou de China Power Investment Corporation avec State Nuclear Power Technology – ensemble, ils devraient peser 113 milliards de dollars.
Cependant, aux réactions des groupes concernés, le plan est loin de faire l’unanimité. Interrogé le 3 mars, sur les chances de succès d’une fusion avec la CNPC, Fu Chengyu, CEO de Sinopec répondait d’un laconique : « je ne sais pas ». Si l’idée d’une gestion plus dynamique en « compagnie d’investissements » peut séduire, celle de créer un conglomérat encore plus grand (700.000 à 800.000 employés), aux centaines d’usines redondantes, semble ingérable et être une pure fuite en avant des fonctionnaires du ministère.
Autres faiblesses problématiques du plan :
1. Certaines options majeures de Li Keqiang en 2012 semblent remisées aux calendes grecques, telle la privatisation d’actifs et « moins d’Etat ». Aujourd’hui, la fusion massive et les contrôles stratégiques annoncés, vont dans le sens opposé.
2. Les actions en bourse des groupes ont doublé à l’annonce de la fusion, sous l’effet de la spéculation voire du délit d’initiés.
3. La chasse aux gaspillages va tuer les avantages du personnel (électricité ou logement gratuits) – d’où des protestations à attendre.
4. Au Xinjiang, une vente d’actifs de la CNPC n’octroie au privé que 49% du total des parts : pour les particuliers, miser dans ces conditions reste sans garantie. C’est quand même l’Etat qui mène la danse.
5. Enfin le réflexe de dépanner les groupes (publics ou privés) « too big to fail », reste viscéral : Evergrande, groupe foncier en difficulté, vient d’ obtenir de plusieurs banques un « dépannage » de 16 milliards de $.
Pourtant, le succès de ce plan reste absolument nécessaire : pour refinancer les programmes sociaux de l’Etat, mais aussi pour le sursaut à l’export programmé par Pékin depuis 10 ans, maintenant supposé commencer à monter en vapeur. Ce sont ces consortia de l’énergie, des mines et métaux, des télécoms, de l’électronique ou du BTP qui, d’ici quelques mois doivent supporter les diverses « routes de la soie », équiper le tiers-monde et supplanter les groupes mondiaux ténors de ces spécialités.
Il y a donc là un hiatus, entre ambitions affichées et moyens pour l’instant déployés. Mais l’observateur ne doit pas trop s’inquiéter : d’une part, il faut attendre la publication du plan proprement dit—et d’autre part, ce « made in China 2025 » n’est qu’une phase des trois attendues d’ici 2045. et est la seule a être présentée. Pour la suite, il y a encore de la marge.
Sommaire N° 13 (XX)