Un programme est très suivi depuis novembre autour de Shangluo (Shaanxi), une des préfectures officiellement pauvres. Dans le cadre d’un Plan d’Action d’Education Rurale (PAER), 69 cadres du planning familial suivent 229 foyers comptant un enfant de 1 à 3 ans.
Tout a commencé avec un constat des chercheurs du PAER : 33% des enfants de la préfecture étaient en retard physiologique, 21% en retard cognitif sur ceux des villes. Puis une étude de l’Université Normale du Shaanxi, soutenue par Standford (USA), lançait l’alerte fracassante : 30% des élèves du pays, en milieu rural, étaient en échec scolaire ; seuls 8% atteindraient l’université, contre 70% en ville.
Aussi, sur les 16,87 millions d’enfants nés en 2014, 3,6 millions rateraient la chance d’une ascension par les études.
La raison primordiale de ces déficiences tenait à la qualité de l’éducation des parents, surtout de celle des grands-parents (qui gardent les enfants au village, en l’absence des parents partis travailler à la ville). Les 奶奶 (nainai, grand-mères) croient qu’une fois l’enfant nourri et tenu au chaud, leur tâche s’arrête là.
A Shangluo donc, a été lancé ce mini-plan, financé par 100.000¥ de l’université du Shaanxi, de l’Académie des Sciences et de la Commission du Planning. Et comme première conséquence, l’accueil de ces cadres du planning fut instantanément bouleversé.
Traditionnellement, ces « policiers du berceau » sont très mal reçus dans les fermes, où ils viennent imposer des stérilisations, des amendes d’enfant sans permis, et jusqu’à 2013, forcer des avortements. Mais à Shangluo, l’ambiance a vite changé de tonalité, virant au cordial.
Une heure par semaine, les 69 agents enseignent aux parents la puériculture et le jeu aux enfants. Ils apportent ballons, cubes, livres d’images, et un mémento simple des devoirs à la maison pour la famille. Ils apprennent à encourager l’enfant lors des exercices, même en cas d’échec. Ils apportent 144 activités pour favoriser l’éveil, l’expression des idées et émotions, la motricité, le langage. Les progrès de l’enfant sont enregistrés – impressionnants de rapidité.
Tout ce programme tient à une vaste collaboration, à vrai dire improbable, entre agents du planning et universitaires. En 2014, l’Etat avait commencé à tolérer plus de naissances et surtout, avait aboli de facto les avortements sous la contrainte.
Dès lors se posait la question de l’avenir des « policiers des berceaux », qui sont un million à travers le pays. Dans ce cas, suggéraient les pédagogues, pourquoi ne pas leur faire changer d’image et de métier en même temps ?
Pour ce plan–pilote, l’heure du bilan approche : les tests d’évaluation commenceront en avril.
Au PAER, on sait que le succès est là, plaidant pour l’extension du plan-pilote à d’autres régions puis au pays, permettant ainsi de rattraper le retard scolaire des campagnes – bien nécessaire pour assurer une vie meilleure et la poursuite de la croissance.
Mais le problème sera le coût financier, et ce qui est plus grave, idéologique. Au lieu de financer à prix insoutenable le maintien d’un contrôle autoritaire des naissances, l’Etat devrait former une armée de puériculteurs. Les 50 millions d’enfants de un à 3 ans pourraient, disent les experts, nécessiter 8 millions d’éducateurs.
Ici, se pose la question des jardins d’enfants. En 2011, le 1er ministre Wen Jiabao promettait de créer assez de crèches pour que les 30% d’enfants de la campagne, alors déjà accueillis en de tels centres, passent à 60% d’ici 2020 –le problème ne se pose pas dans les villes, déjà équipées.
Mais le 19/03, Lu Mai, secrétaire général de la Fondation Nationale de Recherche au Développement (FNRD, proche de l’Etat) avertissait qu’au stade actuel d’engagement, le but ne serait pas atteint. D’ici 2020, il faudrait avoir ouvert 100.000 nouveaux jardins d’enfants, pour desservir 600.000 villages. Mais entre niveau central et local, les projets d’ouverture d’ici là ne dépassent pas quelques milliers.
La FNRD propose une école des tout-petits à base de volontariat, fonctionnant à 30 000¥/an, repas compris. Sur ses fonds propres début 2015, elle gérait 771 maternelles et accueillait 17.000 tout-petits. De manière remarquable, une firme nippone (le constructeur automobiles Infiniti) devient son mécène en lui remettant (19/03) un chèque de 3 millions de yuans, assez pour 200 de plus.
Un relais est donc disponible dans la société civile, capable d’ouvrir de nombreuses maternelles nécessaires, mais au-delà des moyens financiers publics. À condition qu’elles puissent compter sur le soutien de l’Etat, ce qui, pour l’instant, n’est pas le cas.
Enfin, l’affaire de Shangluo traduit l’éveil d’une politique de natalité surgelée depuis 35 ans. Le nouveau paysage n’est pas sans rappeler le slogan national en vogue, le « Nouveau Normal ». Sous ce concept, en matière de natalité, l’Etat s’apprêterait à renoncer au contrôle des naissances (sous 4 à 5 ans, dit-on) et cherche désormais à améliorer la « qualité »… de sa population de demain.
Sommaire N° 13 (XX)