Le jour de l’ouverture de la session du Parlement (05/03), une annonce a particulièrement fait parler d’elle : celle de l’augmentation du budget de l’Armée Populaire de Libération (APL), fixée à 10,1% en 2015, soit nominalement 145 milliards de UD$, seconde allocation au monde.
Suivant la perspective, la hausse est faible ou forte. Modeste, par rapport à celle de 2014, (+12,2%). Faible au regard du montant par soldat, bien moindre qu’aux USA ou au Japon : 57.000$ par an pour chacun de ses 2,3 millions d’hommes sous les drapeaux (plus large armée au monde), et dont il faut bien payer les soldes.
Mais forte, quand on la compare à celle du PIB de 2015 (estimé entre 6 et 7%). L’APL continue à recevoir plus que tout autre secteur, rappelant la décision de Deng Xiaoping dans les années 1990, de porter l’armée à un niveau de capacité, équipement et formation égale à l’US Army d’ici 2050.
« De toute manière, précise Willy Lam, analyste hongkongais, le débat est faussé : le budget réel de l’APL est au moins 50 à 100% plus haut, en comptant les achats d’équipements à l’étranger et la R&D ». En 2014, la Chine passait troisième importateur d’armes – contre cinquième en 2013.
Ainsi en dix ans, l’APL a comblé une bonne partie de son retard, notamment en défenses aériennes et maritimes.
Elle compte un porte-avions, et un voire deux en construction, un avion « furtif » et différents types de chasseurs bombardiers dont un clone du Mig 31.
Chaque année voit l’adjonction à l’une de ses flottes de 6 à 8 destroyers, frégates ou corvettes ; quant aux sous-marins nucléaires ou conventionnels, ils seraient « supérieurs en nombre » à ceux de l’US Navy qui en compte 71, et d’une autonomie démontrée d’au moins 95 jours en haute mer.
Le 05/03, un porte-parole au Parlement signala encore que cette hausse était « la moindre en cinq ans ». Ce qui prête à réflexion.
Pour Willy Lam, par sa modestie alléguée, cette hausse raisonnable viserait à rassurer les pays de l’ASEAN, sérieusement inquiets de la pénétration de l’APL dans leurs eaux des mers du Sud (les 6 bases dont elles se dote, sur des atolls proches des Philippines), et le Japon concerné par son approche dynamique autour des îles Senkaku (nom nippon) ou Diaoyu (vocable chinois).
Nonobstant, une autre signification de cette hausse « limitée » est tout aussi plausible : elle porterait un avertissement du pouvoir central à l’armée chinoise, « pilier autonome » du régime, mais qui déçoit, tant par sa discipline que par ses résultats.
Selon un dernier rapport au Congrès américain, publié le 12/02 par Rand Corp., l’APL en dépit de sa boulimie de crédits (voire à cause de celle-ci), demeurerait vulnérable, percluse de corruption, en manque de personnel qualifié et d’entrainement.
Xi Jinping, depuis son accession en 2012, promeut à étapes forcées une nouvelle couche de généraux, le plus souvent issus de la région militaire de Nankin (où il a passé une vingtaine d’années), pour relayer celles du Nord-Est et du Nord-Ouest. Mais l’arrestation récente de 14 généraux pour gabegie en dit long sur la déliquescence de cette défense.
Parmi eux, sous enquête, figure Guo Zhengang, le fils de Guo Boxiong, jusqu’à l’an dernier vice-président de la Commission Militaire Centrale, l’autre ex-vice-président étant Xu Caihou. Ces deux hommes sont arrêtés pour corruption, aussi soupçonnés de connivence avec des leaders en disgrâce tels Bo Xilai et Zhou Yongkang.
Si le budget militaire infléchit sa courbe de croissance, cela pourrait se lire comme l’avertissement de Xi à « notre nouvelle Grande Muraille » (我门的新长城):« entraînez-vous, cessez de détourner des fonds, obéissez, et pour les crédits, on verra ensuite ».
Une autre des faiblesses de l’APL est son ossature archaïque, datant des années ‘50, où les 4 armes (terre, air, mer, artillerie) sont « saucissonnées » en 7 régions militaires. Xi voudrait une structure plus intégrée, capable d’engagement rapide incluant des moyens high-tech.
Par ailleurs, cette profusion de moyens nouveaux se transcrit-elle en capacité d’engagement ? La corrélation est moins évidente. En 2013, lors d’un exercice de 9 jours en Mongolie Intérieure, la moitié des tanks de la 27ème Division tomba en panne sous 48h.
En tout cas, notent les stratèges étrangers, l’APL ne s’est pas confrontée sur un théâtre d’opérations à un quelconque adversaire depuis 35 ans, suscitant ainsi des doutes sur ses capacités et sa discipline.
Sur ce point, les propos de Xi Jinping, chef de l’Etat et commandant en chef de l’APL (cf photo), sont éclairants : « une armée forte, est celle qui met l’obéissance au Parti devant même sa capacité de vaincre ».
En décembre, le général Luo Yuan est plus spécifique encore : « sans d’abord terrasser l’hydre de la corruption, nous perdrons toute guerre, avant même qu’elle ne soit engagée ».
Sommaire N° 10-11 (XX)