Sous l’impulsion du ministre Chen Zhu en 2009, la réforme de la santé démarrait. 125 milliards de $ étaient injectés pour créer et rénover 2000 hôpitaux de district, 5000 cliniques, 29.000 dispensaires. Une liste de 300 médicaments de base à prix fixe était imposée pour limer les coûts médicaux. En juin 2012, un programme pilote était lancé dans 300 hôpitaux n’administrant que les remèdes listés, et recevant en compensation des subventions et le droit de faire payer plus leurs services premium.
Or, en janvier 2015, la réforme entre dans une nouvelle phase :
– Les 300 hôpitaux subventionnés passent à 2.000.
– Juste approuvé par le Conseil d’État, un nouveau plan de croissance (stimulus qui ne veut pas s’avouer comme tel) déversera en deux ans, 1620 milliards de $ de fonds mixtes (privé, public, banques) sur 400 projets dans 7 secteurs, dont la santé qui figure au second rang.
– Pour faire baisser les prix des médicaments chers, efficaces contre des maladies graves tels cancer ou sida, le ministère veut faire jouer la concurrence en approvisionnant les hôpitaux par achats regroupés. Dans chaque province, un comité consultatif se met en place, réunissant fonctionnaires et cadres des industries pharmaceutiques, lesquelles pourront recevoir des incitatifs (licences, allègements fiscaux…) pour produire en grandes séries et à moindres coûts ces molécules trop rarement prescrites car hors de prix. Dès décembre 2014, le Jiangxi obtenait 15% de réduction sur 5 remèdes contre la leucémie, cancers pulmonaire et du sein. Dès lors, le Jiangxi pouvait les ajouter à sa liste des traitements couverts par l’assurance de base.
– À Qingdao (Shandong), la sécurité sociale locale propose d’intégrer les ONG dans ces négociations, pour qu’elles expriment les intérêts et attentes du patient. Cette association du consommateur-citoyen est essentielle. En effet, conçue sous Mao selon les normes de l’URSS, la santé chinoise, pâtit d’un modèle autoritaire et d’une structure centralisée. Si en théorie, les médecins peuvent exercer ailleurs, en pratique ils en sont interdits par leur direction, pour se réserver l’exclusivité de leur expertise. De même, le diagnostic et les actes médicaux sont concentrés sur un seul site et payables à l’avance. Enfin, le directeur de l’hôpital est souverain, bloquant toute réforme lésant ses propres intérêts.
Il en résulte une rigidité insupportable dans la vie hospitalière, des listes d’attente, le refus de soins aux 30% de patients sans ressources ni couverture. Les médecins doivent assurer 100 consultations par jour. Les patients s’en prennent régulièrement physiquement aux docteurs—lesquels, en sous-main, réclament des milliers de yuans de bakchich pour opérer.
Autre dysfonction : quoiqu’en nombre égal aux hôpitaux privés (14.000 contre 13.000), les hôpitaux publics parviennent à truster 90% du marché de la santé. Trop chers, les privés manquent aussi de médecins.
Aussi la santé des Chinois est médiocre : 3,5 millions par an décèdent de maladies. La prévalence du cancer a augmenté de 50% en 20 ans. 20% souffrent de maladies cardiovasculaires, sans compter les cas non détectés. Surcharge pondérale et diabète progressent, menaçant cette société déjà vieillissante, de frais de santé en milliards de dollars annuels, voire de millions de morts prématurées.
Heureusement d’autres forces viennent à la rescousse de l’État en cette tâche titanesque qui, selon l’analogie d’un professeur pékinois, s’apparente à « la tentative désespérée de faire une soupe à l’œuf, en déversant un œuf dans l’Océan ».
Présents depuis 20 ans mais longtemps bridés par la législation, les investisseurs étrangers peuvent depuis 12 mois posséder à 100% une maison de santé.
Cela suscite des vocations, surtout outre-Atlantique. CPM (Columbia Pacific Management) bâtit deux hôpitaux de 250 lits à Wuxi et Changzhou, pour 80 millions de $ chacun (cf photo). Trustbridge construit depuis décembre à Shanghai son hôpital général Jiahui, 500 lits, au prix de 500 millions de $.
D’autres sont sur les rangs, pour racheter ou bâtir des hôpitaux de cent à mille lits : UPMC (Pittsburgh, Pennsylvanie), Harvard, le Massachusetts General Hospital, Artemed (Allemagne), qui tous comptent emmener leurs médecins (chinois d’origine) et leur management, afin de combiner service de qualité et contrôle des coûts. Côté chinois, Vanke et Evergrande (développeurs) et l’Hôpital Universitaire de Pékin (maison titanesque de 1400 soignants et 1800 lits, ayant coûté 730 millions de $ en 12 ans de construction) sont aussi sur les rangs. Alibaba réfléchit à ouvrir des hôpitaux, et offre en attendant dans certaines métropoles, une application smartphone permettant de réserver et de payer dans certains hôpitaux la consultation souhaitée.
Tous ces efforts sont sous-tendus par la conscience générale d’une demande immense, émergente, insatisfaite : en octobre, le Conseil d’Etat prédisait au marché de la santé une valeur de 1300 milliards de $ en 2020, quintuple de 2012, après une croissance moyenne de 21% par an. De quoi faire réfléchir !
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