La chute du Président
Viktor Ianoukovitch en Ukraine et la débâcle de son ordre post-soviétique, suscitent en Chine deux opinions opposées. <p>Hostile à toute libéralisation, le Parti communiste chinois n’a nul doute que démocratie finit toujours par rimer avec chienlit : « rejetez toute réforme politique rapide, dit la presse, ou subissez-les conséquences ».Au Hunan cependant, le 25/02, des étudiants osaient tendre une bannière félicitant « le peuple ukrainien pour sa victoire des libertés». Cela dit, sur internet, l’opinion fait preuve de clairvoyance en soupçonnant, derrière tout ce désordre, l’action de milices d’extrême droite et la manipulation d’un peuple aux abois, plutôt que l’éveil d’une société à la démocratie. Cela dit, face au déchirement de ce pays entre Russie et Europe, la Chine éprouve un fort malaise : c’est qu’en y ayant beaucoup investi, elle a maintenant beaucoup à y perdre.
Mi-2013, elle avait livré 10 milliards de $ à Kiev en prêts concessionnaires dont en 2012, 3 milliards de $ fournis par l’Eximbank à KSG, le consortium national agronomique, en contrepartie de livraisons de grain sur 15 ans.
Avec ses riches plaines à blé et une agriculture kolkhozienne née de l’URSS, l’Ukraine est dans les 10 premiers exportateurs céréaliers.
Quoique 50% du chèque ait été versé dès mars 2013, KSG n’a livré que 180.000 tonnes, au lieu des 4 millions de tonnes contractés. Le reste des fonds a servi à combler les dettes les plus criantes, ou à satisfaire d’autres commandes en retard : Iran, Ethiopie, Kenya, l’opposition syrienne…
La Russie, pas tendre envers son ex-république satellite, dévoile cette fraude (25/02). L’Eximbank porte plainte contre KSG devant une Cour d’arbitrage à Londres.
D’autre part en 2012, XPCC (Xinjiang) prenait en bail longue durée, 100.000 hectares de plaine à Dniepropetrovsk, voués à devenir 3 millions d’hectares d’ici 2063 – la surface de la Belgique !
A coup de technologie importée, il y créait une place forte du blé et du porc, et s’engageait à payer 2,6 milliards de $. Dès 2014, ses hommes prenaient possession de 3000 hectares. Mais désormais, s’interrogent les investisseurs, que vaut ce contrat conclu sans consultation des pouvoirs locaux ?
En décembre 2013 à Pékin, Ianoukovitch obtenait 8 milliards de $ de contrats en plus, parmi lesquels la création par un investisseur privé d’un grand port à Sébastopol sur la mer Noire, pour 3 milliards $, pour l’import-export chinois…
Une autre coopération florissait depuis 20 ans, celle des ventes militaires.
Kiev fournissait l’APL, en réacteurs pour bombardiers, en turbines à gaz pour destroyers (ce que la Russie refusait de faire). Elle avait aussi coopéré à la production d’un moteur diesel pour un char d’assaut commandé par le Pakistan.
Or, ce commerce aussi devient à risque : si d’ici 5 à 10 ans l’Ukraine entre à l’Union Européenne, l’embargo des ventes d’armes à la Chine, s’il reste alors en vigueur, devra s’appliquer.
Comme on le voit, pour Pékin, c’est de nouveau le moment de faire ses comptes, comme elle avait dû le faire après la chute de Kadhafi en Libye, perdant plus de 20 milliards de $ : prix à payer occasionnellement pour son audace, et sa capacité à prendre les contrats là où d’autres reculent. La Chine peut se le permettre, vu ses réserves monétaires, et « la fortune sourit aux audacieux ». Mais on ne peut gagner à tous les coups !
Sommaire N° 9