Les relations entre Inde et Chine font parler d’elles : à juste titre, car elles sont en plein remue-ménage, déchirées entre différents scénarios d’avenir incompatibles.
Xi Jinping et le 1er ministre indien Manmohan Singh (parti du Congrès) veulent accélérer le rapprochement. Mais le parti d’opposition (« BJP », nationaliste) avec son leader Narendra Modi, mise sur méfiance et fermeté. Or aux législatives, en mai prochain, Modi est donné gagnant, faisant risquer un grand virage.
Effectivement en Asie, il n’a pas fallu longtemps pour que Pékin paie au prix fort son imposition unilatérale d’une ADIZ qui restreint la circulation sur une zone maritime stratégique, grande comme 6 fois la France, et contestée par 5 nations.
En Inde, Jaswant Singh, un poids lourd politique, réclame une troïka économique et de défense entre son pays, Japon et Corée pour « maintenir l’équilibre » avec l’envahissant voisin chinois. Ce concept rejoint celui de « containment », vieil objectif des Etats-Unis – Corée et Japon y sont aussi favorables. Le 16/01 à Delhi, la Présidente coréenne Park Geun-hye, négociait une coopération en « sécurité maritime » et « développement nucléaire ». Le Japon lui, avait envoyé dès décembre son empereur Akihito (première visite en 50 ans), puis en janvier I. Onodera, son ministre de la Défense. Le Japon prêtait 2 milliards de $ pour le métro de Delhi, s’ajoutant à 3 milliards de $ d’autres aides, un accord d’énergie nucléaire et acceptait de livrer des avions militaires amphibies. Et les deux pays annonçaient les premières manœuvres militaires de leur histoire. Le Japon avait déjà dépassé les Etats-Unis comme fournisseur d’IDE en Inde avec 15 milliards de $ (7% du total), et les 2 pays triplaient leur accord de swap monétaire à 50 milliards de $. Shinzo Abe, 1er ministre, rêvait avec Inde et Corée d’une nébuleuse trilatérale « arche de prospérité »…
Pour l’Inde, ce scénario « trilatéral » peut aussi s’expliquer par son incapacité à renforcer seule son réseau routier et ferré aux frontières, pour répondre à l’effort chinois d’infrastructures au Tibet – voie potentielle d’attaque militaire. En 8 ans, une seule des 28 routes prévues a été construite en Arunachal Pradesh, que la Chine revendique, sous le nom de « Sud Tibet ». Ensuite, joue simplement le sentiment de rivalité entre futures puissances. Enfin, l’alliance étroite de la Chine avec le Pakistan n’arrange rien : Delhi ne peut la voir que comme tournée contre elle.
Or, voila que la Chine fait à l’Inde une offre extraordinaire : jusqu’à 300 milliards de $ d’investissements en infrastructures, 30% des besoins du pays. Pékin offre son savoir-faire ferroviaire, en tunnels et en traitement des eaux. L’Inde aura du mal à accepter dans l’immédiat, surtout au Nord-Est et au Cachemire, vu les visées chinoises sur son sol. Mais l’offre est tentante.
Dès l’an passé, Xi Jinping et Li Keqiang renforcèrent l’offre en déclarant « prioritaire » le règlement amiable des frontières. Des exercices militaires conjoints sont aussi programmés pour 2014, et sur proposition indienne, les points de jonction entre troupes (cf photo) seront doublés. De même, Pékin veut rassurer l’Inde sur le sort du fleuve Brahmapoutre, dont elle ne retiendra pas les eaux—une question sensible en Inde. Pour l’analyste Prem Shankar Jha, la Chine veut gagner cette relation stratégique, moins pour éviter le schéma d’encerclement que « comme moyen de communiquer plus efficacement et moins en confrontation avec Union Européen-ne et Etats-Unis dans leur nouvel avatar de créateurs d’empires ».
Que conclure de tout cela ? Les deux tendances représentent en fait l’histoire en cours. L’agressivité, c’est l’héritage du passé. L’appel centripète, c’est l’avenir, la prise de relais à deux, des puissances de l’Ouest aux rênes du monde. Mais la Chine a une question à se poser. Elle pourrait développer l’Asie entière, si cette dernière pouvait lui faire confiance—c’est-à-dire si elle renonçait à ses exigences maritimes. La coopération de fond n’aura pas lieu sous cette incertitude. La Chine devra faire des choix.
Sommaire N° 9