Petit Peuple : Shenyang – La mariée était trop belle… (2ème partie)

Résumé de la première partie : Jian Feng, mari de Hong Lanping, ne comprend pas la laideur de leurs trois enfants. Sous la pression elle lui avoue qu’avant leur union, elle s’est fait refaire le visage en Corée du Sud…

Loin d’être ému par l’aveu déchirant que lui faisait son épouse, Jian ayant pris conseil d’un avocat, la força sur le champ à signer la déposition, trouva des clichés d’elle d’avant leur mariage (cf photo) comme pièces à conviction, et se précipita au tribunal, accusant Hong d’avoir abusé de sa bonne foi. De la sorte, elle s’était rendue coupable de la mise au monde de trois enfants d’une laideur incommensurable.
Si elle n’avait pas dissimulé sa vraie nature par ces opérations de chirurgie esthétique, ou bien si elle avait avoué la manigance, il aurait peut-être eu la chance de se détourner à temps, et de partir dans la vie conjugale du bon pied, avec une vraie beauté. Tandis que là, parce qu’elle lui avait vendu « du chien pour de l’agneau »(挂羊头卖狗肉 (guà yáng tóu mài gǒu ròu), Jian réclamait des dommages et intérêts.

Or, quelques semaines plus tard, après avoir entendu les deux parties, réfléchi et délibéré, le juge, en sa « grande sagacité » décida que : pour avoir dissimulé sa disgrâce physique, pour être née laide et avoir voulu jouer la belle, Hong (entretemps divorcée et retournée chez ses parents avec mômes et bagages) était condamnée à dédommager son ex-mari de 750.000 ¥

Tel qu’évalué par la Cour, le montant de la compensation au mari mérite réflexion. Il dévoile un mode de pensée juridique unique (voire inique).
Dans le calcul du pretium doloris, le juge a repris les factures de la clinique coréenne et les a requalifié de détournement du patrimoine du mari, même si l’ union n’avait été célébrée qu’ ultérieurement.Pour lui, l’argent versé à la clinique par Hong (ou ses parents) était, en puissance, propriété du mari, qui était donc « spolié ». Pire, cet investissement générait l’effet pervers, cette beauté mensongère par laquelle le scandale était advenu. Aussi, à ces 620.000¥ d’honoraires chirurgicaux dont il ordonnait « restitution » à Jian, le juge ajoutait 20% d’intérêts au fil des années du mariage.

Lors de sa délibération, on peut imaginer que le juge ait été influencé par une enveloppe rouge, confortablement rembourrée. Mais on devine aussi une forme de parti-pris ou de solidarité masculine. Le verdict ignorait superbement quelques vérités simples, telles que : 

– le droit de tout être humain à se montrer à son avantage, y compris sur base d’un effort financier et d’un travail sur soi ;
– les devoirs d’épouse auxquels Hong n’avait jamais failli, le ménage, l’éducation des enfants… toutes choses dont Jian ne s’était jamais plaint ;
– enfin, la soi-disant laideur des héritiers n’altérerait pas leurs chances de réussite sociale. Au contraire, elle les forcerait à compenser en cultivant leurs vertus et talents, faisant d’eux d’excellents artistes, avocats, professeurs ou médecins. Ils éblouiraient leur entourage, non pas par un brillant superficiel -produit du hasard – mais par leur beauté intérieure !

L’histoire toutefois se termine de façon aussi ambiguë qu’elle n’a débuté. Sur internet, ce procès et son issue choqua ou éblouit, selon les cas, des millions d’hommes et de femmes à travers les cinq continents. La société trouva motif à admirer, ou bien à railler une justice nationale capable de forcer une femme à dédommager son mari pour son physique disgracieux. Par milliers, s’accumulèrent les commentaires hilares. 

Suite à quoi les autorités s’inquiétèrent : il y allait de l’image du pays, l’affaire était sérieuse, pensèrent ces censeurs sans malice… Bientôt, avec discrétion, des mesures furent prises. Un rideau fut imposé sur cette scabreuse affaire. Le jugement fut discrètement annulé, ce qui, pour l’épouse, signifia l’annulation de la choquante amende. Enfin, les ex-con-joints furent invités à « trouver un accommodement » – qui, selon la loi, devrait plutôt ressembler à une pension alimentaire versée par Jian, au titre des frais d’éducation des enfants. Cette insolite affaire aura émis sa moisson d’enseignements sur le mode dont fonctionnent certains couples, ainsi que sur le jeu complexe de pouvoirs -et de contrepouvoirs – judicaires au Céleste empire.

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