Monde de l'entreprise : Salaire minimum : la révolution cachée

Salaire minimum : la révolution cachée

Port LianyungangSelon l’enquête de la Bank of America, Li Keqiang, le 1er ministre aborde l’année 2014 avec une politique innovante sous l’angle salarial : imposer le maintien d’une hausse moyenne de 10% des salaires, en dépit de l’effritement de la croissance. 

Pour y parvenir, l’Etat n’essaie pas de l’imposer aux firmes mais agit par le biais des salaires minimum, imposés aux entreprises selon leur localisation. Selon les « lignes directrices » du Conseil d’Etat de 2013, les salaires minima doivent augmenter de 13% par an pour atteindre au moins 40% du salaire moyen local d’ici 2015. Aussi, à Shenzhen en 2014, la hausse suivra exactement la directive (13%). Ailleurs à Yangzhou (Jiangsu, une des provinces les plus riches), elle atteindra +15,6%.

Les firmes doivent répercuter ces hausses, ne serait-ce que pour conserver leurs employés au retour du Chunjie (bon nombre s’éclipsent entretemps, ayant trouvé un emploi plus proche de chez eux). Ce besoin est plus fort encore sur le marché qualifié. Pour 2014, selon l’agence shanghaienne Michael Page, les firmes s’attendent à voir 45% de leur personnel qualifié les quitter, soudoyé par de meilleurs salaires. Ceci sera surtout vrai dans les métiers financiers, des services et des industries à haut savoir-faire -pharmacie, aéronautique, énergie… 

Cette hausse des salaires présente peut être lue comme la face cachée de la vaste réforme sociétale ambitionnée par le tandem Xi Jinping/Li Keqiang pour transférer du pouvoir au peuple et arracher l’économie à 30 ans de croissance basée sur le gaspillage et l’export. Dans cette réforme, on distingue trois objectifs : 

– calmer les masses en leur offrant une part supérieure du PIB, et leur permettre de consommer plus : créer un vrai marché intérieur. Il s’agit aussi d’enrayer la vague de manifestations salariales qui atteignaient 637 en 2013 (presque 2 par jour) selon l’ONG hongkongaise China Labour Bulletin.

– Pékin veut fermer les PME improductives, aux produits médiocres et redondants, qui nourrissent la guerre des prix tout en grillant les profits. Elles disparaîtront « naturellement », par leur incapacité à suivre les hausses salariales. Les provinces qui jusqu’alors les soutenaient, devront lâcher prise. 

– il s’agit donc aussi d’accélérer la montée dans la chaîne de valeur, et les départs d’industries redondantes vers l’Asie du Sud-Est. Cette fuite est renforcée par la campagne anti-corruption, le renforcement des contrôles financiers et celui des instruments anti-pollution. 

Aussi cette stratégie de l’Etat apparait prometteuse de montée en gamme, et d’un enrichissement de la base. Mais elle n’est pas sans risque : 2014 verra sans doute d’abord un tassement de la croissance, accompagné de fermetures d’usines, de hausse des prix et de mouvements sociaux. On assiste même, par endroits et par secteurs, au contraire du résultat recherché par les pouvoirs publics: une érosion des salaires urbains moyens de +14,4% en 2011 à 11,9% en 2012 et (peut-être) 11% en 2013… Selon l’agence Hay’s, seuls 9% des patrons chinois comptent augmenter les enveloppes de plus de 10% cette année—ils étaient 12% en 2013… 

C’est donc à une bataille confuse de forces opposées à laquelle on assiste, celle de la volonté politique contre celle du marché. Heureusement pour la Chine, sa conjoncture est meilleure qu’ailleurs en Asie, où seuls 29% des patrons envisagent d’augmenter les salaires de plus de 6%. Aussi à travers le continent, le pays semble en meilleure santé pour supporter l’effort de restructuration, pour mieux rebondir ensuite.

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