Parmi les inégalités que vit la société chinoise, compte la
protection sociale.A commencer par l’assurance médicale. Une protection légère s’est rapidement développée, mais reste trop faible pour faire face aux actes médicaux lourds. Le citadin peut espérer une prise en charge complète, en faisant jouer ses assurances d’Etat et privées. Mais le paysan évite l’hôpital à tout prix, même si cela doit lui coûter la vie : il n’a pas les moyens, et les coûts du traitement se paie d’avance, et au pire, ruinera sa famille sans garantir sa propre survie.
De même, le retraité pékinois touche 5 fois ce que reçoit celui de Chongqing, et 10 fois celle d’un paysan (quand il en touche, ce qui reste l’exception). Pire est le cas du fonctionnaire qui touche une retraite 50% supérieure à celle des autres, alors que de toute sa vie, il n’a pas contribué d’un seul yuan.
De toutes ces incohérences résultent une colère et une méfiance – un refus sourd de cotiser. C’est à ce challenge que s’attaque Li Keqiang à présent : des décisions sont prises, qui feront l’objet de débats à l’ANP à sa session de mars :
– Adoptée au Conseil d’Etat (07/02), la réforme de la Sécurité sociale impose aux provinces de payer au moins 50% des traitements lourds par le biais d’une assurance à créer d’ici juin : dans le forfait annuel de soins de chaque assuré qui sert à payer les soins à l’hôpital, un nouveau budget serait créé, pour offrir aux assurés sociaux la latitude de souscrire à cette complémentaire. 23 provinces et 120 villes participent déjà au plan, mais pour un remboursement encore trop faible.
– Les choses bougent aussi pour les hôpitaux privés, qui croissent depuis 10 ans : ils étaient 9800 en 2013 (soit 42% du parc hospitalier global).
– Li veut aussi fusionner les caisses de pensions pour obtenir plus de transferts entre Est et Ouest, villes et campagnes. Avalisé le 08/02 au Conseil d’Etat, son plan prévoit aussi d’augmenter de 10% les pensions, et de prendre en charge 100% des coûts au centre et à l’Ouest, et 50% à l’Est côtier, plus riche. Le financement doit venir « des cotisations, des transferts publics, des unités collectives » et d’un sponsoring charitable.
Mais des questions restent éludées : quand les fonctionnaires vont-ils commencer à contribuer ? Et quand reculera-t-on l’âge de la retraite, aujourd’hui à 53 ans en moyenne – un héritage remontant à Mao ? Il faudrait passer à 65 ans. L’Etat propose un étalement graduel sur «10 à 20 ans ». « Bien trop tard », s’écrie Wang Dewen, de la Banque mondiale. Dès 2012, 20 provinces s’endettaient sur les pensions et d’ici 2033, la Chine pourrait accumuler 11 200 milliards de $ de dettes, grillant ainsi toute sa croissance. Pire, d’ici 2050, les sexagénaires seront 450 millions : 4 personnes âgées à charge d’un seul actif…
Si le pouvoir temporise, c’est que les vieux travailleurs refusent de repousser leur passage en retraite. Souvent de santé précaire faute de suivi approprié, ils craignent de surcroit de se faire licencier, et de ne pas pouvoir retrouver d’emploi d’ici l’ouverture des droits à la pension. Et puis jusqu’à présent, travailler plus longtemps ne leur permet pas de recevoir plus. Autant de données qu’il va falloir faire évoluer.
A l’assuré, cette couverture sociale crédible et solide permettra de pouvoir investir son salaire en consommation, plutôt qu’en épargne pour ses vieux jours. Il pourra aussi changer de lieu de vie (de travail, ou de pension) sans perdre ses acquis de retraite. Une telle évolution prendra des décennies. Mais Li Keqiang a le mérite de faire le premier pas.
Sommaire N° 7