Economie : Réforme du crédit – un pas en avant, un pas en arrière

Le 21/11, la Banque Populaire de Chine (BPdC) fit froncer les sourcils des milieux financiers : pour la 1ère fois en 30 mois, elle réduisait le taux pivot du prêt à un an de 0,4%, le portant à 5,6%, et le taux du dépôt, de 0,25%, pour atteindre 2,75%. 

Les analystes furent unanimes : le 1er ministre Li Keqiang admettait ainsi l’échec de sa stratégie de crédit « goutte-à-goutte ». En distribuant le crédit avec parcimonie, et uniquement aux projets prioritaires (infrastructures, agriculture, logis social), Li pensait calmer la croissance et résorber les énormes masses monétaires flottantes issues du stimulus public de 2008, et aujourd’hui hors contrôle, aux mains de la banque grise. 

Mais au 3ème trimestre, la croissance reculait à 7,3% : le spectre d’une chute en dessous de 7% en décembre forçait la BPdC à changer son fusil d’épaule en limant le taux d’intérêt. Il fallait se remettre à favoriser l’épargne, le crédit, et tailler dans les profits des banques en resserrant les marges entre dépôt et prêt. D’autres coupes pourraient suivre, des taux du crédit et des réserves obligatoires (aujourd’hui 20% des actifs). 

D’une certaine manière, la volte-face avait été anticipée la veille par un article dans Shanghai Securities News, par deux chercheurs à la NDRC, Xu Ce et Wang Yuan. D’après ces planificateurs, de 2009 à 2013, le pays a perdu 42.000 milliards de yuans en « investissements inefficaces ». 

La courbe avait été exponentielle : de 4.700 milliards de ¥ en 2009, le gaspillage s’était envolé en 2013 à 13.200 milliards de ¥ – 47% de l’investissement national. Or, concluent les auteurs, investir lourdement chez ses voisins comme la Chine l’envisage aujourd’hui (dans des projets géants telle la « Route de la Soie LIEN » où Pékin promet 40 milliards de $), n’est pas compatible avec ces dettes improductives à l’intérieur du pays. 

Officiellement, la coupe des taux doit rouvrir le crédit aux PME. Mais, remarquent les experts, un tel effet est impossible à obtenir : les banques qui perdront désormais 5% de leurs profits (calcule Cinda Securities), ne peuvent pas risquer des prêts à des PME dont la solvabilité est plus que jamais fragile. Selon les chiffres de la BPdC fin septembre, les prêts aux PME représentaient 29,6% du total, 14.600 milliards de ¥ que ces firmes, étranglées entre méventes et refus de reconduction du crédit, ne peuvent plus rembourser. 

En ordonnant à la BPdC de couper le taux d’intérêt, l’Etat espère soutenir les PME, les plus créatrices de valeur et d’emploi. Mais on peut douter qu’il y parvienne par ce biais-là. En fait, son action (et il le sait) sourira d’abord à la « vieille économie » : aux grandes entreprises d’Etat (armateurs, aciéries), aux promoteurs fonciers, aux caisses des provinces, qui refinanceront leurs dettes ou lanceront de nouveaux chantiers. 

Forcée de conduire cette coupe, la BPdC par contre, y trouve son compte sur un autre plan : elle encourage les banques à moduler leurs propres taux de dépôt jusqu’à 20% du taux pivot, et avance la réforme du taux d’intérêt, jusqu’à une libération complète qui serait pour 2016 au plus tard, selon Zhou Xiaochuan, le gouverneur pressenti à quitter son poste après 12 ans de service—il pourrait être relayé par Guo Shuqing. Cette liberté de tarification laissée aux banques leur permettrait de s’arracher aux vieilles habitudes du club socialiste, de prêts exclusifs au secteur étatique. Au contraire, elles se mettraient à faire jouer le marché et la concurrence entre elles, au profit du client. 

Le souci est que sur 16 banques cotées en bourse, seules 5 des plus petites telles la Banque de Ningbo ou celle de Nanjing, ont accepté de jouer le jeu. Ces établissements ont leur sort lié à celui des grands emprunteurs, leurs patrons faisant carrière alternativement d’un poste bancaire à un poste politique. Guo Shuqing par exemple, vice-gouverneur de la BPdC jusqu’en 2001, est aujourd’hui gouverneur et vice-Secrétaire du Parti au Shandong. 

Selon Haibin Zhu, chef économiste à JPMorgan, la coupe des taux révèle la peur des dirigeants de la baisse de la croissance à court terme et « des efforts désespérés pour réduire les coûts financiers des grandes entreprises ». Mais le calcul comporte un vice potentiellement redoutable : les prêts irrécupérables des banques, dont le bilan déclaré ne serait, selon l’autorité de tutelle CBRC, que « la face visible de l’iceberg ». 

Près de 1000 milliards de ¥ de prêts, consentis aux consortia et aux provinces depuis 2008, seraient des mauvaises dettes. Pour parer au risque d’explosion en série des faillites, ICBC et Banque de Chine sont en train de lever des obligations en dizaines de milliards de yuans, à 6%. Sans compromettre la stabilité financière du pays, cette situation, désormais, va jouer un rôle de frein à la croissance—et la grande réforme financière rêvée par Li Keqiang, va nécessiter un très grand courage politique.

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