A 26 ans, Tan Shen luttait depuis l’enfance pour s’imposer. Toute petite, elle avait dû résister à des parents autoritaires, croyant dur comme fer aux vertus pédagogiques de Confucius et réprimant avec ardeur ses bouffées d’expression individuelle.
Sur les bancs de son école à Qingdao (Shandong), levant la main du matin au soir, elle livrait une guerre de tranchée pour le privilège dérisoire de répondre aux questions –sans penser à mal, maîtres et maîtresses privilégiaient les garçons. Elle guerroyait aussi pour que les garçon fassent attention à elle.
Outrageusement dorlotés par leurs mères et certains de leur supériorité sur le « beau » sexe, ces fils uniques prétendaient ne sortir qu’avec des « grandes ».
Aussi Tan Shen avait-elle trouvé ce subterfuge de porter des chaussures compensées (10cm), qui la perchaient une demi-tête plus haut que des gars de son âge. Dès lors, elle devenait « éligible » aux yeux de celui sur lequel elle avait jeté son dévolu !
En classe de terminale en 2005, Tan Shen avait griffé sa meilleure amie qui venait d’essayer de lui « piquer » son petit copain. Sauver son couple, dès lors, lui semblait d’une importance existentielle : son image face aux autres, son estime de soi en dépendaient. Aussi faisait-elle par ailleurs des efforts surhumains pour plaire à ce petit coq plutôt bellâtre et suffisant, l’aidant dans ses révisions au détriment des siennes, et tolérant chez lui des gestes maladroits.
Malgré ses efforts, la séparation tant redoutée et vécue tant de fois en cauchemars prémonitoires, finit par arriver : il rompit au printemps 2006, prétextant l’ordre de sa mère et l’imminence du Gaokao, leur examen crucial de fin d’études. Regardant ses pieds, la jeune fille avait accepté la sentence sans rien dire, avec aux joues le rouge de « la honte de se sentir inférieure » (自惭形秽, zi can xing hui). Au fond d’elle-même pourtant, Tan Shen savait bien qu’elle valait mieux que cela : elle se jura de changer.
Deux mois plus tard quand les résultats du Gaokao tombèrent, Tan Shen fut admise à Chengdu, à la prestigieuse université du Sichuan, et se dépêcha de partir, trop heureuse de couper les liens avec son enfance, pour pouvoir enfin déployer ses ailes. Elle franchit sans peine ses trois ans d’études, dans une ambiance simple et gaie, entre potaches partageant leurs maigres moyens pour s’amuser.
À la sortie de l’université, la chance sembla se profiler : un bon emploi dans une compagnie commerciale et peu après, en janvier 2014, elle sortait avec Zhou Jiahong, beau garçon de 28 ans, professeur dans un collège privé. Avec un peu de chance, il serait son « Mr Right », l’homme de sa vie !
Mais elle avait tant envie de se fondre dans le moule d’une vie « normale » qu’elle en fit trop, retombant dans le comportement auto-destructeur du passé. Sans objecter, elle avait accepté que Zhou envahisse son studio—dont elle payait seule le loyer, elle avait insisté pour cela et il ne s’était pas fait prier pour accepter. Chaque matin avant le travail, elle lui demandait ce qu’il voulait manger le soir, puis faisait les courses dans la journée, revenant tôt pour cuisiner, dresser la table, arranger le bouquet de fleurs et la bougie. Après le dîner (avalé sans un compliment), elle faisait la vaisselle.
Elle l’appelait lors de ses pauses, sur son portable. Il la rabrouait, mais elle ne pouvait s’empêcher de continuer – c’était sa drogue. De même, elle avait commencé à s’habiller d’une manière toute nouvelle, selon ses désirs à lui, pour lui plaire.
Et puis un beau matin, au moment de se séparer, il lui annonça tout bonnement qu’il ne reviendrait pas : il la quittait. Il ne voulait pas lui faire de la peine, mais il fallait bien lui dire : elle était collante, conformiste, vieux-jeu et tutti quanti. Lui, Zhou préférait être honnête : elle n’était pas pour lui, alors merci pour tout, et basta. Il partait avec au bras gauche son porte-document, et au droit sa valisette.
C’est seulement alors qu’elle réalisa qu’en 15 jours, discrètement, il avait évacué la quasi-totalité de ses affaires. C’était pour Tan Shen la fin de son monde, de ses valeurs et de ses rêves d’enfance. Une pensée alors lui fit froid dans le dos : son propre nom, homonyme de Dan Shen (单身, célibataire), lui promettait de rester vieille fille à jamais…
Rendez-vous la semaine prochaine pour le n°40, le dernier de 2014, pour savoir comment Tan Shen va se sortir de cette épreuve !
Sommaire N° 39