Diplomatie : Que se cache derrière la « Route de la soie du Sud » ?

A Nay Pyi Taw, la capitale birmane, lors de trois Sommets (12-14/11), Li Keqiang exposa pour la 1ère fois aux autres pays concernés ( Bangladesh, Chine, Inde, Myanmar) un vieux rêve : le Corridor BCIM. En dépit d’un flou sur la structure, il ne faut pas s’y tromper : il s’agit d’un projet institutionnel, d’un « marché commun » interrégional ambitieux, financé par la Chine. Sous 30 ans, il pourrait changer le cours des destinées de millions d’êtres humains. 

 Le 1er ministre chinois propose de recréer une « Route de la Soie » du Sud. Autour d’un axe Kolkata (Calcutta)-Kunming, sur un espace grand comme trois France (1,65 millions de km²) se ramifierait un réseau d’autoroutes, TGV, lignes à haute tension, gazoducs et oléoducs. Par le passé, l’axe fonctionna par phases aux 2ème et 7ème siècles (vagues de pénétration du bouddhisme) voire au 20ème (la route Stillwell, qui arma la Chine contre l’ invasion nippone). À ces époques, thé et soie, chameaux et chevaux, s’échangeaient du Yunnan au Tibet, du Nord-Est indien à la Bactriane (Afghanistan, Tadjikistan et Ouzbékistan).

La révolution chinoise et l’éclatement de l’Empire des Indes, avait stoppé les échanges. Face à la côte chinoise et à l’axe Delhi-Mumbai (Bombay) qui eux prospéraient, la région s’appauvrissait pour devenir le « no man’s land » de 440 millions de laissés-pour-compte qu’elle est aujourd’hui. Li Keqiang propose de rétablir cette source de prospérité. Un regard sur la carte montre le besoin ardent de cette région enclavée, avec un Bangladesh et une Inde Orientale sans liens extérieurs, une Birmanie du Nord loin de tout pôle de croissance. 

Certes, le premier à en profiter serait le Yunnan, déjà industrialisé et sous un cadre politique stable, en avance sur ses voisins. Il obtiendrait l’accès à d’importantes ressources en matières premières à bas prix, et aux ports du Golfe du Bengale pour exporter ses produits. 

Mais dans l’autre sens aussi, ce Corridor BCIM réduirait le temps de transport entre Chine et Inde, et son coût (jusqu’à 30%). Il multiplierait les parcs industriels, favorisées par un traité et des institutions. Un fort potentiel se dessine dans l’énergie, entre les hydrocarbures du Bangladesh, l’hydroélectricité d’Inde du Nord-Est et du Sud-Ouest chinois, et le gaz du Myanmar. Pour P. Sahoo et A. Bhunia, co-auteurs d’une étude régionale, « dans le cadre d’un traité multinational BCIM, le potentiel d’export d’énergie vers le Bangladesh, qui en manque cruellement, est fort ».  

Le problème est avant tout culturel. La confiance fait défaut, l’Inde ne se sentant pas prête à laisser le géant rival s’implanter sur son sol ou celui de ses voisins qu’elle considère comme son espace vital, et ses administrations font obstacle aux investisseurs chinois. « Un tel projet donnerait l’opportunité à la Chine d’influencer les insurrections dans la région, comme elle le fit jusqu’en 1986 » commente l’ex-colonel R. Hariharan, du Centre d’études chinoises de Chennai (Madras).

Face à ces préventions indiennes, la Chine trouve pourtant des oreilles plus sympathisantes à son plan : celle des pays limitrophes, Myanmar (Birmanie) et Bangladesh. A Dacca, la CCCC (China Communications Construction Corporation) offre l’envoi immédiat de ses géomètres pour fixer le tracé de la ligne, tout en promettant que son pays prêtera les milliards de dollars nécessaires aux chantiers – une infrastructure que l’Inde est incapable de lui fournir. 

De même en Birmanie, bien consciente de ne plus être désormais la seule offre de croissance (Europe, Japon et Amérique sont aussi sur place), la Chine ouvre plus large sa bourse que par le passé. Elle promet de poursuivre la construction du port de Kyaukpyu. Elle a achevé un oléoduc et un gazoduc de 800km de cette ville à Kunming. Par contre, le projet de liaison ferroviaire est reporté suite aux objections de la population locale, qui s’inquiète de l’arrivée en force des intérêts chinois. 

Ce dernier blocage met la puce à l’oreille, et dévoile la complexité de ce projet gargantuesque. C’est de la mondialisation de terres très anciennes dont on parle, au relief torturé, aux relations interethniques fragiles (même au sein de la Birmanie ou de la Thaïlande, où affleurent en permanence les conflits ethniques). S’il est basé sur une exploitation raisonnée et équitable des ressources locales (évitant le piège d’une simple mise en perce par la Chine des ressources locales), le Corridor BCIM apportera paix et richesses. Et c’est la Chine qui le propose à ses voisins, comme gage pour rétablir la confiance. 

Mais la Chine-même est équivoque avec son avancée ultrarapide et dynamique des eaux de mer de Chine…Autant de contradictions à régler. Mais indiscutablement, ce Corridor est porteur d’espoir et perçu comme tel—et la Chine a les moyens, et la volonté de le mener à bien.

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