Par un phénomène où le hasard n’avait nulle place, le sommet de l’APEC (05-12/11) fut dense en rebondissements, à propos du TGV chinois. La veille du sommet avait vu le
Mexique attribuer à un consortium sino-mexicain (seul candidat à l’appel d’offres) la construction d’une ligne de train à grande vitesse à 4,3 milliards de $. Deux jours après, à la surprise générale, Mexico dénonça le contrat, suite à des plaintes d’autres groupes ferroviaires mondiaux pour « irrégularités ». Cependant, la Chine a porté plainte et l’affaire suit son cours.De son côté, la NDRC annonça le 08/11 un plan d’infrastructures doté de 113 milliards de $, notamment pour construire 16 lignes ferroviaires à travers le pays.
Le même jour vit le lancement du 1er tronçon de la ligne Lanxin (Lanzhou-Xinjiang), 530km de Urumqi jusqu’à Hami. Le second tronçon, Hami-Lanzhou, suivrait en décembre. Complexe, cet axe stratégique a dû franchir un col de 3600m à Qilianshan (Gansu), et un désert rude où un sirocco à 60m/seconde fit dérailler un train en 2009. 462km de murs ont été dressés, contre le vent et les attentats. Toute la ligne est d’ailleurs sous caméras. Coût total, 23 milliards de $.
Le 09/11, à l’ouverture formelle de l’APEC, Xi Jinping lançait un mot d’ordre inattendu : celui d’un « rêve de la région Asie Pacifique », accompagné d’un fonds voué à financer des infrastructures. Joignant l’acte à la parole, Xi dotait ce fonds dit « Route de la Soie », d’une mise de départ de 40 milliards de $. Une des priorités de cet outil financier international, sera le déploiement de lignes de chemin de fer à travers 60 pays. Deux axes doivent suivre une « route de la soie » au nord (via l’Asie Centrale), une « route de la soie maritime » au sud (via l’ASEAN, Inde et Pakistan, Moyen et du Proche-Orient). De fait, pas par hasard, la ligne Lanxin était inaugurée à temps pour l’ APEC : comme 1ère étape de la nouvelle « route de la soie » avant de poursuivre (selon l’espoir annoncé des constructeurs et politiciens chinois) via Kirghizistan, Tadjikistan, Ouzbékistan, Turkménistan, Iran et Turquie, jusqu’à la Bulgarie.
Au demeurant, le « rêve d’ASEAN » de Xi Jinping a été précédé depuis plusieurs années sur la route maritime par une série de ports en milliards de dollars, entre Birmanie, Pakistan, Sri Lanka, Maldives, permettant de désenclaver ces pays pauvres, tout en les liant à la Chine…
La dimension stratégique de ces chantiers n’échappe à personne. Au sommet de l’APEC, Xi accélère le pas pour tenter de supplanter en influence les Etats-Unis d’Obama. Pour Xi, le moment est idéal : malmené aux dernières élections, ayant perdu la majorité aux deux Chambres du pays, Obama est paralysé pour ses deux dernières années de mandat.
Cette main tendue de Xi permet de combattre la stratégie de « pivot » des Etats-Unis, tentant de fédérer sous leur ombrelle les petits pays de la zone pacifique contre l’expansion chinoise en mer de Chine. Mais la Chine s’avère capable d’assister ces mêmes pays (ou bien au contraire, de s’en abstenir) dans leur développement. Le message est clair : « le développement, c’est par la Chine qu’il passe », à commencer par le TGV, qui a pour effet secondaire de libérer instantanément le trafic de marchandises. Car au Xinjiang, une fois la nouvelle ligne TGV en place, l’ancienne sera réservée au fret, permettant d’en tripler le trafic à 200 millions de tonnes par an. À tous ces pays d’Asie Centrale comme d’Asie du Sud-Est, anxieux de s’équiper en infrastructures mais impécunieux, des accords sont proposés à conditions imbattables et sous des formules souples, telles le prêt bonifié ou le remboursement en matières premières.
Le chemin de fer donc, surtout le TGV, devient un fer de lance de l’expansion chinoise dans le monde , par l’offre d’équipements d’avant-garde, à prix cassé. Mais ce réseau ferré n’a qu’un terminus : la Chine. Tous les chemins (de fer) mènent non pas à Rome, mais à Pékin ou Shanghai, créant une nouvelle circulation des biens et des personnes, entre le continent eurasien et l’Empire du Milieu, ce qui est une source de richesse pour tous, et de pouvoir politique pour la Chine.
En fin de compte, la Chine devient ainsi usufruitière de cet investissement chez ses voisins, ce qui justifie qu’elle offre de le subventionner. Ce train, comme ces ports deviendront son instrument d’influence sur la région asiatique, voire le monde entier, pour des siècles à venir !
Sommaire N° 37