Environnement : La Chine dompte son dragon d’eau (2ème partie)

La semaine passée, nous présentions un projet colossal, le canal Sud-Nord.  Nous poursuivons ici avec d’autres méga chantiers : le programme de grands barrages.

Au Sichuan et Yunnan, l’été 2014 a vu naître trois des plus grands barrages au monde, 10 ans de travail de dizaines de milliers d’ouvriers: Xiluodu, Xiangjia et Nuozhadu, n°2, n°3 et n°4 du pays (derrière celui des Trois Gorges), génèrent ensemble autant d’électricité que 26 réacteurs nucléaires. 

Sans fanfare, un autre projet géant débute cette semaine : Lianghekou, 3GW, 295m de hauteur, un des 23 barrages planifiés sur la rivière Yalong (1 323 km-Sichuan). Ils appartiennent à un plan de dizaines de retenues sur les cours d’eaux prenant leur source dans les hauteurs du massif tibétain : la Jinsha (Haut-Yangtzé) et ses affluents Yalong, Min et Dadu. Plus problématique, le plan domestiquera d’ autres cours importants, qui poursuivent ensuite leur périple en Asie du Sud-Est: Yarlung Zampo (Brahmapoutre), Langcang (Mékong), Nu (Salween). D’ici 20 ans, ce méga-projet, dit « corridor du Fleuve Jaune » devrait puiser 30 à 35% des débits de ces fleuves, 150 à 200 milliards de m3 –sans tenir compte des préjudices aux riverains en aval.

Toute cette eau détournée ne se limiterait pas à la seule destination de l’Est, vers Pékin et le Shandong : jusqu’à 50% irait au bassin du Tarim, où elle servirait à l’agriculture, la mine, le pétrole et surtout le gaz de schiste. La Chine est 1er détenteur du méthane captif en formations rocheuses, mais n’y a pas encore accès, faute d’eau, nécessaire en gros volumes pour l’extraction. Avec un tel plan, la Chine ferait d’une pierre trois coups : elle réglerait ses problèmes d’eau, d’énergie et de pollution –le gaz de schiste réduirait sa dépendance au charbon (aujourd’hui 70% de son énergie). 

Concernant la maîtrise de l’eau, la Chine nourrit d’autres projets :
Canton se met en mesure de détourner 3,5 millions de m3 par jour de la Xijiang —9 milliards de yuans ont déjà été investis depuis 2008.
– De l’autre côté de la frontière russe, Pékin lorgne aussi à long terme le lac Baïkal (le plus grand du monde), dont l’eau serait achetée et acheminée par aqueduc.

Tous ces efforts montrent bien la « soif » immense de la Chine : industrie et agriculture embolisent ensemble 85% de sa ressource en eau. L’industrie seule revendique 139 milliards de m3 par an, presque 40% du total, tout en gaspillant à production égale, le décuple de la moyenne mondiale. Le Water Resources Group (think-tank multinational) prédit que d’ici 2030 cette demande industrielle chinoise grimpera à plus de 300 milliards de m3 : alors, elle excédera de 200 milliards de m3 les disponibilités. D’où la quête agressive, de toute ressource à portée. 

Mais on voit aussi les limites de plans si ambitieux, dépassant en échelle tout ce que l’humanité a connu jusqu’alors. Les pays limitrophes, Vietnam, Laos, Cambodge, mais aussi Inde seront gravement lésés et voudront défendre leurs intérêts : le contrôle des eaux de l’Himalaya pourrait être l’épicentre de conflits futurs. 

Puis une avancée technologique vient affaiblir la pertinence des plans chinois, voir les rendre obsolètes : la désalinisation de l’eau de mer voit ses coûts significativement chuter. En 2011, Tianjin a ouvert une usine à 4 milliards de $, de technologie israélienne. 

À des dizaines kilomètres de là, Beijing Enterprises Water Group fait construire à Caofeidian une centrale en JV avec le groupe norvégien Aqualyng : dès 2019, elle produira 1 million de tonnes d’eau douce par jour, 1/3 des besoins de Pékin, pour 2,7 milliards de $ d’investissements, dont la majeure part pour le pipeline. L’eau sera facturée 8 yuans du m3, le double du prix actuel, « mais d’ici là, annonce Wang Xiaoshui, directeur du projet, les prix auront augmenté », rendant ce tarif acceptable.

Car voilà le plan d’action de l’eau annoncé en juin (mais encore non publié), doté de 320 milliards de $ : pour forcer à épargner la ressource et améliorer sa qualité, il prépare la hausse progressive des prix, jusqu’au niveau de coût réel. Un système de quotas par foyer et par usine, assorti de taxes de dépassement naîtrait fin 2015 dans Pékin, pour imposer une épargne de 20%. 

A l’échelle du pays, il s’agit de plafonner la consommation de 610 milliards de m3 à ce jour, à 700 milliards de m3 à terme. L’outil principal serait une bourse d’échanges des droits d’utilisation—un peu comparable à celle en gestation pour les droits d’émission de CO2 LIEN. Le plan d’action veut aussi taxer et réduire les effluents industriels dont la Chine est 1er émettrice avec 6000 tonnes par jour. 

Ainsi, une mentalité nouvelle apparaît, dénonçant les chantiers-dinosaures, et appelant à la remise en cause des modes de consommation. Qiu Baoxing, vice-ministre de l’intégration urbaine-rurale, causa un tollé en février en dénonçant le canal Sud-Nord comme une fuite en avant anti-économique : « non-durable à long terme, cet ouvrage ne peut être un ersatz pour l’indispensable discipline des usagers. La Chine doit consommer l’eau aux mêmes conditions que le reste du monde ».

Retrouvez la version anglaise de cet article sur blog d’Eric Meyer sur Forbes.

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