Fruit de décennies d’efforts, une Grande muraille des temps modernes apparaît : le Canal Sud-Nord, aux trois parcours distincts.
En phase de test, le parcours central va de Danjiangkou (Hubei) à Pékin où il déversera 1,05 milliard de m3 d’eau dès 2015, avant d’aller fournir d’autres villes du Nord en 2030 (13 milliards de m3 ). Il s’agit de combler le déséquilibre fondamental entre une Chine du Sud humide et celle du Nord semi-désertique, en détournant une part du débit du Yangtzé, plus puissant fleuve du pays.
L’objectif semble simple, mais les moyens pour y parvenir sont d’une extrême complexité : 1276 km entre montagnes et fleuves. Longue de 80 km, la seule section pékinoise a pris 11 ans de chantier. La mise en eau du parcours est pour décembre.
Rêvé depuis l’Antiquité, en sus de la route centrale, le projet en comporte deux autres :
la route Est se lovait dès décembre 2013 dans le lit du Grand Canal (1776 km, Pékin-Hangzhou, 2500 ans pour les sections les plus anciennes). Dotée de 23 stations de pompage, elle apporte 13 milliards de m3 à Tianjin.
Futuriste, la route Ouest reliera Yangtzé et Fleuve Jaune, dans des zones inhospitalières, à des altitudes de 4000 à 6000 mètres, parcourues de blizzards à –40° l’hiver. Les pompes restent à inventer, pour refouler en conduites forcées de 7m de diamètre, 18 milliards de m3. Sur les rivières Tongtian, Yalong et Dadu, des réservoirs seront bâtis, aux digues de 300 mètres de hauteur. Les concepteurs espèrent finir le chantier d’ici 2050 : c’est un défi d’avenir de l’humanité.
Même sans se confronter à de telles extrémités, les autres routes ont subi des années de retard, dus à la géographie, au climat et à l’homme. L’axe central devait coûter 15 milliards de $. Mais selon Sun Laixiang de l’université du Maryland (Etats-Unis), il aura coûté 62 milliards de $, sans compter 13 stations d’épuration rendues nécessaires par une pollution sous-estimée. Pékin a aussi dû reloger 500.000 habitants mais le budget a été détourné, causant un sourd ressentiment.
Grande oubliée du Canal Sud-Nord, l’écologie se venge.
Au Jiangsu (route Est), la puissance des pompes est telle que des milliers de pêcheurs perdent leur gagne-pain. La pollution est telle qu’à l’arrivée à Tianjin, l’eau est inutilisable. Aussi, les experts affirment que la baisse de pluviosité de 60% au Henan et Hubei, est due au Canal, qui dessèche le pays par ses ponctions massives. Allégations démenties par Pékin…
Les hydrologues pour leur part, reprochent au Canal d’être une mauvaise solution, incapable d’étancher la soif de Pékin. En 2014, la ville dispose de 2,1 milliards de m3, mais en consomme 3,6 milliards de m3. Elle trouve le reste par pompage profond, de nappes fossiles qui s’épuisent. Aussi, avec son 1,05 milliard de m3, le parcours central ne permettra pas de combler le déficit présent – il manquera 400 millions de m3, qui deviendront 1,8 milliard de m3 d’ici 2020. La vraie et seule solution réside dans une consommation raisonnée, et une tarification au coût réel – la fin du mythe de l’eau socialiste subventionnée sans limites.
Mais à ce jour, le pouvoir, par obsession de paix sociale, s’est toujours refusé à sauter le pas, préférant la fuite en avant à travers de tels projets géants. L’eau chinoise est tarifée au quart du coût, et les usines du pays gaspillent le décuple en eau de la moyenne mondiale…
Suite de ce dossier la semaine prochaine.
Sommaire N° 34