En fait d’
environnement et surtout de décarbonisation économique, la Chine avance à vitesse fulgurante. C’est encourageant et surtout inattendu, après 30 ans d’inaction, où la pollution était considérée comme corolaire indissociable du bien-être. <p>Au meeting de l’ONU à New-York contre le réchauffement global, le ministre Xie Zhenhua annonça (24/09, VdlC n°31) pour 2016 un réseau national de crédits-carbone, où les firmes échangeront leurs droits d’émission de CO2—les plus économes ou propres vendant le reliquat de leur quota annuel aux plus pollueuses ou imprévoyantes.Aujourd’hui, on apprend que ce marché couvrira d’emblée 40% de l’économie, 3 à 4 milliards de m3 de CO2, et vaudra 65 milliards de $. Bien des régions industrielles (Californie, Mexique, Corée) se mettent sur les rangs sans attendre, pour pouvoir y vendre et acheter. Aux Nations Unies, Christiana Figuerez, en charge du groupe préparatoire de la future Convention du Changement climatique, a applaudi le plan chinois : « dès que le système sera en marche, il donnera un signal positif à tous les autres marchés (des crédits carbones) »… Selon les experts, les crédits-carbone chinois déjà échangés sur les 7 places boursières locales, verront leurs prix remonter en étant échangés nationalement. L’objectif étant d’induire de forts investissements et de créer des emplois dans les secteurs à bas carbone. Pour Xie, cette nouvelle « industrie verte », si elle est bien gérée, générera en Chine 730 milliards de $ de PIB par an les premières années et soutiendra 32 millions d’emplois.
Mais il y a loin de la coupe aux lèvres. Le risque, à griller les étapes, est de mal intégrer et mal harmoniser les prix des filières d’énergies, les règles de production et de vérification de région à région : comme on le voit en Europe aujourd’hui, le cadre concurrentiel, faussé, inciterait à la fraude. La Chine saisit le taureau par les cornes et veut mettre toutes chances de son côté. Au 13ème Plan quinquennal de l’énergie (2016-20), les renouvelables auront la part belle. L’éolien doublera en capacité (200GW d’ici 2020) et le solaire quintuplera (100GW). À cette échéance, par économies d’échelle, le tarif du KW/h éolien rejoindra celui du thermique en ligne (0,4¥) et le solaire, allégé d’un tiers, égalera celui du thermique « à l’usager » (0,6¥).
Si la Chine va si vite, c’est aussi en raison du rendez-vous incontournable à Paris le 30 novembre 2015, au COP 21 où les nations espèrent signer ensemble la Convention, un mécanisme contraignant toutes les nations à franchir le pic d’émissions puis les réduire. Ces dernières années, c’étaient Washington et Pékin qui faisaient barrière. Désormais chacun de son côté, Obama et Xi Jinping militent pour faire sauter le verrou !
Gare au romantisme naïf pour autant. Les chiffres de l’Etat, souvent, font mauvais ménage avec la réalité des experts indépendants. Pékin a promis en 2020 une baisse d’ « intensité carbonique » de 45% par rapport au niveau de 2005. Au 1er semestre 2014, il publie une baisse de 5%. Pourtant, une étude de l’Université of East Anglia établit que de 2002 à 2009, l’intensité en Chine aurait en fait augmenté de 3%. Les gains réalisés par le remplacement d’unités polluantes par d’autres plus performantes, ont été neutralisés par la croissance ininterrompue de fonderies et cimenteries. « La Chine doit réaliser, conclut le professeur Guan Dabo, que son programme de baisse d’émissions de CO2 ne sera pas compatible avec la poursuite de construction d’unités industrielles géantes – même plus efficaces ».
Comme pour poursuivre le raisonnement, deux juristes américains, Alex Wang (UCLA) et B. van Rooij (UC-Irvine) étudient l’effet de la loi de l’Environnement révisée cette année. Leur constat est rude : en province, les agents de l’environnement, indirectement, sont payés par les pollueurs. Fonderies, usines chimiques financent les budgets des provinces : moins elles produisent, plus les bureaux de l’environnement s’appauvrissent. De fait entre industriels et cadres, les liens sont étroits, soudés par le conflit d’intérêt. D’où la conclusion sans appel des deux juristes : sans réforme du droit, ni indépendance des juges et administrateurs, les problèmes de pollution ne disparaîtront pas.
Chen Jiping, ex-membre du Groupe « politique et légal » du Comité Central, révèle que « la pollution a dépassé les expropriations abusives, comme source première de conflits sociaux en Chine ». De ce fait, l’urgence de réforme légale, doit figurer en haut de l’agenda du pouvoir. Même si, pour l’heure, tout thème de réforme politique est pieusement banni du vocabulaire.
Sommaire N° 33