L’affaire qui suit le démontre : la Chine n’a pas appris la leçon du scandale du lait à la mélamine en 2008. La litanie des fraudes n’a jamais cessé, tel ce trafic de 30.000 tonnes de pattes de poulet avariées, confisquées fin août au Zhejiang. Traitées au peroxyde, elles étaient vendues « fraiches » à travers 10 provinces.
Dans la tempête de révélations, les étrangers étaient jusqu’alors relativement indemnes : seul Heinz (Etats-Unis) devait fin août retirer des rayons une bouillie pour bébés, pour traces en plomb trop abondantes.
Mais les choses changent. Cet été, Husi, filiale shanghaienne d’OSI Group (multinationale de l’agroalimentaire à Aurora près de Chicago) fut accusée par une TV locale d’écouler des viandes avariées. À présent, l’affaire prend son ampleur, promettant de rester dans les souvenirs comme un des scandales alimentaires majeurs de la décennie.
Husi, 500 employés, était une boucherie importante et moderne. Elle livrait des milliers de fast-food McDonald’s, Pizza Hut, 7-Eleven, KFC, Starbucks en Chine, au Japon, au Pakistan, à Hong Kong…
Suite à la dénonciation, les services d’hygiène de l’Aqsiq et de la police firent une descente dès juillet. Ils découvrirent le pot au rose, saisirent 100 tonnes de viandes en partie périmées (le poulet de 3 mois, le bœuf de 6 mois), faisandées, faussement réétiquetées. Six cadres chinois furent arrêtés, dont le directeur Hu Jun. La licence fut retirée, mettant l’usine au chômage.
Puis d’autres réactions suivirent en cascade, vu la gravité du cas. Même en l’absence de victimes (par salmonelles ou autres), le cadre industriel et réglementaire d’hygiène avait massivement failli.
Durant des années, Husi avait pu trafiquer et vendre des produits interdit. Mais de leur côté, les chaînes de fast-food américaines (d’ordinaire très techniques et intraitables sur la sécurité des aliments) les avaient achetés sans contrôle propre.
Des réseaux clandestins avaient pu livrer à des groupes tel Husi, les viandes périmées ou avariées. Et l’inspection de l’hygiène n’y avait vu que du feu ! Averti du passage des inspecteurs, Husi, leur présentait toujours, le jour dit, des chaînes aux normes.
Aussi comme pour se rattraper, les équipes d’hygiène visitèrent d’arrache-pied 214 usines et 22 chaînes de fast-food. Elles saisirent 18 tonnes de nuggets, 78 tonnes de steak haché, 48 tonnes de bifteck.
KFC et Pizza Hut, évidemment, rompirent tout lien avec leur fournisseur félon. Lequel, en tout état de cause, cessa d’exister juridiquement. La marque fut retirée et OSI reprit l’usine sous sa gestion directe. Depuis des années, Husi se gérait toute seule, sans présence permanente d’expatriés de la maison mère.
De même, OSI, soudain hyperactif, multiplie les initiatives. Il lance une campagne de prévention à 10 millions de ¥. Il parle d’investir dans un centre de contrôle de qualité à Shanghai. Il se lance dans l’audit de toutes ses branches chinoises, par des inspecteurs en visites surprises.
Le 23/09, OSI licencie 340 bouchers et autres employés de ex-Husi – au chômage depuis juillet mais toujours payés. Ils seront défrayés « selon les lois et en accord avec le syndicat ». OSI en garde une poignée pour « coopérer avec la justice » car l’enquête se poursuit.
Une amende historique va suivre, avec lourdes peines aux cadres reconnus coupables. L’usine elle-même garde ses chances de redémarrer sous nouveau nom et nouvelle direction, une fois la tempête passée.
Non sans analogie avec l’affaire du lait à la mélamine, deux sources du problème apparaissent :
1. la production de viande n’a pas pu suivre la demande. Liés aux cours mondiaux du soja, les prix explosent, encourageant la fraude.
2. Les lois sont incomplètes, les compétences de contrôle mal définies, les inspections squelettiques par rapport au nombre d’éleveurs et abattoirs.
Une 3ème raison est propre au monde des expatriés : pour rationaliser les coûts et maximiser les profits, OSI a fait le choix d’une gestion 100% locale pour sa filiale shanghaienne. Par suite, OSI était condamné à faire confiance à ses cadres en Chine, d’une autre culture et travaillant dans une autre langue.
Or, le dégât d’image est lourd : parmi toutes les chaînes de fast-food, celles américaines restait les seules (avec les coréennes peut-être) en qui la population gardait confiance…
Deux évolutions d’avenir sont envisageables. L’Etat va vouloir remonter la pente et combler toutes les lacunes de son marché de la viande, comme celui laitier.
D’autre part, le contrôle sanitaire privé est appelé à un grand essor : partagé entre 5000 firmes, il vaudra 1,3 milliard de dollars en 2015, voire le décuple dix ans plus tard. On assiste donc en Chine à une mutation du secteur alimentaire – c’est la fin des années où l’on se nourrissait « pour une bouchée de pain » !
Sommaire N° 32