Le 19/09 à Changsha (Hunan), un tribunal local mit un terme au scandale autour de GSK, un des leaders mondiaux de la pharmacie, depuis 15 mois embourbé dans une délicate affaire de corruption de médecins.
En juin 2013, par scoops habilement fuités dans la presse, GSK fut accusé d’avoir distribué en 6 ans, via 700 agences de voyages et sociétés de conseil, 3 milliards de ¥ à des milliers de médecins chinois pour s’assurer la prescription de ses remèdes en hôpitaux.
Des cadres furent arrêtés, dont Marc Reilly, le CEO-Chine qui, après une éphémère cavale en Angleterre, retournait se mettre « à disposition de la justice ».
Le verdict impose une amende égale au montant du délit. Les 5 cadres écopent entre 1 et 4 ans de prison, avec sursis partiel de manière à les rendre tous libérables sur le champ – et M. Reilly, expulsable.
1er constat : malgré tout, le verdict est « modéré », si l’on se souvient qu’ en septembre 2013, le ministre de la Sécurité publique évoquait l’amende infligée à GSK par les Etats-Unis en 2012 suite à une faute similaire : trois milliards de… dollars !
Aussi les milieux professionnels s’attendaient à une « addition » bien plus salée, assortie de peines plus lourdes, pour en faire un exemple. Pour M. Reilly, on parlait même de 10 ans de prison, dont 1 ferme. Aussi, l’administration semble avoir délibérément joué l’apaisement.
À cette modération, deux raisons apparaissent.
1. Clairement, il y a eu accord entre l’administration chinoise et le siège de GSK à Londres ainsi que le gouvernement britannique, dès avant le retour de M. Reilly en Chine, que seul un arrangement ferme permet d’expliquer – d’autant que dès les premiers jours du scandale, le CEO fut licencié. Pékin veut éradiquer des pratiques indésirables, mais non chasser les groupes étrangers dans ce domaine de la santé où ils sont irremplaçables.
2. Auprès des expatriés, la campagne antitrust a l’image d’un outil protectionniste dont ils sont les victimes. L’Etat trouve ici un moyen de combattre cette perception négative.
Autre détail curieux, les juges sanctionnent la corruption de « cadres non-étatiques » (les médecins) et notent aussi l’implication de cadres de l’Etat (Shanghai et Canton), mais cette fois, sans les punir. C’est que là, on entre dans un autre délit puni par une autre police (celle du Parti) dans le cadre de la campagne anti-corruption.
Sur le fond, Pékin frappe la corruption des médecins. Mais l’interdiction ne saura pas couper à l’avenir le dialogue entre les groupes pharmaceutiques/nutritionnels et les hôpitaux. Cet échange restera nécessaire, pour informer les médecins des progrès des centres R&D, des laboratoires – et les industriels, du retour des praticiens sur leurs médicaments.
En outre, tant que la Chine n’aura pas augmenté les salaires des médecins (moins payés que les cuisiniers, bien mal récompensés pour leurs longues études), elle n’aura qu’une santé corruptible et de seconde qualité—les plus brillants cerveaux se détournant d’une carrière aussi ingrate.
Autre question : quelles seront les suites du verdict GSK ? On peut imaginer :
– L’été 2013, en sus de l’enquête de GSK, le ministère de la Santé en lançait 60 autres, sur des groupes pharmaceutiques locaux et étrangers. D’autres poursuites pourraient suivre, contre des firmes tels UCB, AstraZeneca, Eli Lilly ou Sanofi—face à cette perspective, certains affichent une sérénité peut-être de façade…
– Suite aux aveux (et aux excuses) du groupe britannique, l’enquête américaine sur GSK à travers le monde, qui court depuis 2010, peut rebondir dans le cadre de la US Foreign Corrupt Practices Act. La justice britannique aussi pourrait réagir via sa UK Bribery Act.
– Peter Humphrey, détective privé, pourrait se retourner contre GSK qui avait recouru à ses services en 2012, causant son emprisonnement.
À Shanghai, Humphrey avait enquêté sur une ex-cadre du groupe, chinoise soupçonnée d’être le « corbeau » de mails anonymes sur la corruption médicale et la vie privée du CEO. Humphrey avait rendu à GSK son rapport, mais la cadre, pour se défendre, avait fait intervenir ses très puissants contacts municipaux. Arrêté, condamné à 2 ans et demi (sa partenaire et épouse sino–américaine, écopait de 2 ans), Humphrey reproche à GSK de ne pas l’avoir averti du danger lié à cette enquête.
Enfin, l’affaire GSK remue bien des choses en Chine, dans la pharmacie et dans toute industrie, concernant leurs rapports avec le gouvernement chinois. Après ce scandale, les multinationales seront plus vigilantes sur les dangers à recruter des cadres issus de familles influentes, et à offrir des « enveloppes rouges
Sommaire N° 32