Agroalimentaire : Grandes fermes d’Etat : une belle au bois dormant

Parmi la masse des réformes à travers ce vaste pays, il en est une qui reste dans l’ombre : celle des 1785 fermes d’Etat à travers le territoire, et des 3200 firmes dépendantes, avec leurs 120 milliards de $ d’actifs. 

Dans les campagnes, la modernité tarde plus à s’imposer que dans les villes, surtout chez des paysans-cadres. Ayant moins encore la propriété de leur terre que les «privés», ils n’ont aucune raison majeure de chercher à s’équiper ou innover : l’esprit de compétition leur est étranger.
Autre handicap à ces fermes d’Etat: leur mission d’ancrer les frontières – notamment chez les bingquan (兵权), ces soldats-paysans du Xinjiang : cette mission complique leur chance de produire mieux et de s’enrichir. 

C’est pourquoi conscient du problème, Li Keqiang et Xi Jinping-même se préoccupent du problème : le ministère de l’Agriculture relance un programme pour les arracher à leur léthargie. Une piste est suivie : créer entre ces fermes des « alliances sectorielles » dans un même produit. En août, une alliance fut créée dans les semences. En octobre, une autre suivra dans le caoutchouc. Ce que veut Pékin, est permettre synergies et spécialisation entre ces acteurs locaux, pour en faire des acteurs compétitifs sur le marché mondial.
On en est encore loin : selon Yuan Longping, sommité du riz hybride, les dix plus grands groupes semenciers du pays ne contrôlent que 10% de ce marché—une forte part du reste, allant aux ténors internationaux tels Monsanto ou Syngenta. 

Une des sources d’inspiration du Conseil d’Etat a pu être le modèle d’organisation du café au Yunnan, promu par le groupe Nestlé . En 15 ans, ce dernier a su importer technologies et semences, convaincre les paysans individuels d’oser sauter le pas, d’adhérer à une Association mondiale de producteurs, tous formés à vendre suivant les cours mondiaux. Si le privé atteint cette sophistication et ce succès dans un produit, pourquoi le secteur public ne pourrait-il le faire dans d’autres ? 

Mais Pékin préfère pour l’instant contourner le problème n°1, celui du droit foncier, de la propriété du sol. Donner les fermes d’Etat à leurs cultivateurs, sous forme de coopérative par exemple, peut inciter à investir et à innover. Mais dans le cas où ces fermiers échouent, ils risquent de se faire racheter leur terre (pour une bouchée de pain). Dans ce cas, de vastes domaines se recréeraient vite, mais privés, cette fois. Et les agriculteurs lésés n’auraient plus qu’à migrer vers les grandes villes, ruminant les raisins de la colère…
Une telle perspective est la hantise de Pékin, et explique sa grande prudence manifestée dans le traitement de ce problème.
Une alternative serait de créer des emplois urbains pour la majeure partie de ces 3,3 millions d’agriculteurs… Quelle que soit la formule finale, « le processus prendra du temps », conclut le professeur Huang Jikun, directeur au Centre de politique agricole à l’Académie des Sciences.

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