Environnement : « Silence on tourne »

En environnement, une révolution débute en Chine, venant à bout de l’ancienne collusion d’industriels et de cadres au nom de la croissance. Il faut dire qu’il y a urgence : air, eau et sol se dégradent à vitesse terrifiante. La nouveauté tient au fait que désormais, les scientifiques peuvent donner l’alarme. 

Yao Jingyuan, du Conseil d’Etat, rappelle que sous l’impératif productiviste (les 11 ans de récoltes record, exigés par Pékin, le fermier chinois dose 4 fois plus d’engrais que son collègue américain.

La jachère n’étant pas pratiquée, la terre fatigue : « dans 4 générations, avertit ce professionnel du Heilongjiang, la Chine pourrait se retrouver sans terre cultivable, sous l’effet des engrais ammoniaqués ». 

Wei Qiwei, de l’Académie des Sciences ichtyologiques (15/09), annonce pour sa part la mort probable de l’esturgeon du Yangtzé, espèce menacée : un mois de recherche n’a permis de repérer ni les œufs près des berges, ni un seul des 100 poissons géants recensés en 2013.

Et les dégâts continuent : Dalian (Liaoning) a entamé la construction de son nouvel aéroport en mer, sur 21km². En 2018, elle revendiquera ainsi le plus grand aéroport mondial regagné sur les flots. Et si Sanya (Hainan) reçoit à son tour le feu vert de l’Administration océane, ce record passera à elle : son nouveau terminal de 29km² aura été reconquis sur la mer, brisant la paix de la célèbre plage de Tianya et du sanctuaire bouddhiste de Nanshan, ses riverains. 

Mais tout le tableau n’est pas si noir: la Chine présente aussi des projets audacieux, porteurs d’espoirs de remonter la pente. 

A la NDRC, Jiang Zhaoli vient de présenter (12/09) le marché carbone qui devrait fonctionner en 2020. Dès 2016 chaque année, 3-4 milliards de tonnes de CO2 (4% des émissions du pays) rejoindront le mécanisme. 

En 2020, ce marché à terme (de crédits alloués annuellement à chaque firme émettrice) vaudra de 60 à 400 milliards de ¥ par an, complété d’un marché « spot » à 1-8 milliards de ¥. Le volume de CO2 sous son contrôle sera deux fois plus important que celui de l’UE : il pourrait faire doubler les cours mondiaux des crédits-carbone. 

Autre avancée : le Hebei ferme à l’irrigation 50.000ha de terres. Il paiera 195 millions de $ de compensation aux paysans lésés. C’est la première fois qu’une province chinoise met la priorité sur la préservation des sols, au détriment de la productivité. 

Au Hebei, plaine désertique, 70% de l’eau va à l’agriculture. En conséquence, 45.000 km² s’y sont déjà affaissés de plus de 30cm. D’autre part, cette céréaliculture intensive n’a plus de sens économique : entre fuel, salaires et équipements, les coûts dépassent le produit de la vente… 

C’est donc un pas dans le bon sens, quoique « trop limité », remarque Ma Jun, expert environnemental : l’interdiction ne touche que 2% des emblavures provinciales en 2013. Mais politiquement, dans ce pays obnubilé par la paix sociale, on ne peut faire plus vite. 

Un autre jalon dans la longue marche verte, est la prise de conscience des citoyens qui s’éveillent. Au rapport Pew (institut de sondage américain) de 2013, 47% des Chinois voient en la pollution un « très gros problème ». 

À Huizhou (Canton) les 14 et 15/09, des milliers de citoyens manifestèrent contre un projet d’incinérateur d’une capacité de 2600 tonnes par jour. 24 sont arrêtés mais le mouvement ne faiblit pas.

Autre signe que le citoyen parvient davantage à se faire entendre, à Minuo (Fujian), le 26/08, 396 paysans gagnent leur procès contre une firme qui émettait de la dioxine par son incinérateur—8 villageois en étaient décédés. En appel, la firme doit leur verser 6 millions de ¥. 

Dernier point, crucial sans doute : quelle sera la position de Pékin lors des négociations du COP 21 (Paris, 30 novembre-11 décembre  2015) pour un système contraignant de quotas nationaux d’émission de gaz à effets de serre ? 

Depuis des années, alternant positions chauvines et prétextes tiers-mondistes, elle a ardemment défendu sa liberté de facto de pollution illimitée, et réuni ses alliés contre ce mécanisme qui ne lie pour l’heure que l’Europe et une poignée d’autres pays. 

Or, on sent Pékin évoluer : la question n’étant plus que de savoir à la date elle pourrait s’engager à faire décroître ses émissions. En effet ce système, elle l’installe déjà chez elle, sur base nationale, et avec des latitudes octroyées à certaines provinces. 

Récemment, un rapport de l’ERI, Centre de recherche sous la NDRC, recommandait pour de début de décroissance l’année 2030, soit 10 ans après les débuts du marché carbone national. Entre Asie et zone Pacifique d’ailleurs, plusieurs pays ont déjà lancé leur marché (Kazakhstan, Nouvelle Zélande) et d’autres les préparent (Corée du Sud, Indonésie, Thaïlande, Vietnam). 

Ce mardi 24/09 à New York devant l’ONU, en marge des palabres spécialisées , le vice-Premier Zhang Gaoli rompra le silence pour « annoncer la position » sur le futur pacte anti-réchauffement climatique. Xie Zhenhua, le n°2 à la NDRC, précise qu’il commentera des « actions positives » du pays à partir de 2020. Ce langage prudent suggère à la fois l’envie des dirigeants de frapper les esprits à New York, et de faire du pays, aujourd’hui le pire pollueur, demain le « bon élève » de la planète.

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