Embarqué pour une semaine à travers le sous-continent indien, Xi Jinping va vivre un fort défi, lors de l’étape en Inde.
Du 17 au 19 septembre, à New Delhi, il devra affronter des préjugés ancrés depuis une guerre éclair de 1962 (perdue par l’Inde, jamais oubliée), et 20 ans de percée chinoise navale et terrestre, mal vécue par le reste de l’Asie.
Au sud des Himalayas, Pékin revendique l’Arunachal. Depuis 10 ans, la Chine bâtit « ses » ports maritimes autour de l’Inde, s’y installe : Gwadar (Pakistan), Hambantota (Sri Lanka), Sittwe (Birmanie) : autant de « perles » d’un « collier » qui nargue Delhi au cœur de sa sphère d’influence.
Aussi, huit jours avant la visite de Xi, Narendra Modi le nouveau 1er ministre indien, était en visite à Tokyo (31/08 au 03/09).
Quand on sait les mauvaises relations sino-japonaises, une telle préséance accordée à l’Empire du Soleil Levant pouvait inquiéter Pékin. D’autant que Modi y fut reçu « à bras ouverts » par son homologue Shinzo Abe qui promit 33 milliards $ d’investissements sous 5 ans, assortis d’un transfert massif de technologies civiles et militaires.
En retour, Delhi faisait miroiter aux firmes nippones des contrats sur son futur réseau de TGV. À l’évidence, et encouragés en cela par les Etats-Unis, ces pays visaient une alliance commerciale et de défense— contre Pékin.
Xi Jinping aura fort à faire pour inverser la vapeur : à ce jour, les exports chinois et indiens s’affrontent sur les mêmes marchés mondiaux, section « low-cost ». Or le Japon, plus mature et haut de gamme, offre à l’Inde plus de complémentarité.
La rivalité se ressent au fait que les industriels chinois évitent de délocaliser en Inde, comme ils le font en Asie du Sud-Est. Depuis 2010, la Chine n’a investi que 410 millions de $ en Inde, une misère, face aux 65 milliards de $ d’échanges de 2013.
Paradoxalement, à la veille de sa visite, Xi très optimiste, se fait fort de « porter la relation à un niveau inédit ». Côté indien, on est plus lyrique encore : les liens bilatéraux vont faire un « bond orbital » et Modi fera tout pour : il invite Xi le 1er jour, à son repas d’anniversaire !
C’est que ces immenses nations séparées par 2000 ans de méfiance, découvrent soudain des avantages irrésistibles à tirer d’un rapprochement. Wang Yi, le ministre des Affaires étrangères chinois, les appelle poétiquement le « trésor exhumé qu’on s’apprête à ouvrir » :
– Inde et Chine peuvent intégrer leurs économies. Le software indien (où l’Inde excelle) peut être associé au hardware chinois à coût imbattable. En binôme, ils peuvent espérer détrôner les ténors mondiaux de la Silicon Valley. Dans cette optique, ce n’est pas par hasard que Xi apporte avec lui en Inde, 5 milliards de $ de crédit pour financer deux parcs industriels au moins.
- Chine et Inde veulent tous deux « sauver le soldat Pakistan » – un pays miné par l’interminable guerre afghane. Faute de contrôler son territoire, c’est de plus en plus depuis le Pakistan que se préparent les commandos intégristes terroristes, frappant à Urumqi, Pékin ou Delhi. Significativement, Pékin vient d’offrir à Islamabad 34 milliards de $, pour réhabiliter son réseau électrique.
– Avec l’Inde comme partenaire, la Chine « tiendrait » mieux l’Asie du Sud-Est, comme la Chine le fait avec la Russie sur l’Asie Centrale, via le « Club de Shanghai » (OCS), qui englobe et influence les 5 Républiques régionales. Justement, au début de sa visite, Xi s’arrête à Dushanbe (Tadjikistan) pour le 14ème Sommet de l’OCS. – d’ailleurs l’organisation a officiellement reçu la demande d’adhésion de l’Inde et du Pakistan (12/09).
De la sorte, à condition de jouer fin (y compris du carnet de chèques), Xi à Delhi, peut signer avec Modi une série d’accords fondateurs d’une nouvelle ère.
On pense à la fixation définitive des frontières, à une part des contrats du réseau TGV, voire une ou plusieurs centrales nucléaires. Les deux pourraient négocier des coupes tarifaires (prélude à un accord de libre-échange) pour les dizaines de produits agricoles ou industriels que les deux pays rêvent de s’échanger.
Justement, Pékin et le Sri Lanka prédisent la signature de leur propre accord de libre-échange d’ici décembre.
De telles avancées ne nuiraient pas à la coopération dont rêvent Inde et Japon. Mais pour y parvenir, la Chine aura un lourd prix à payer, réclamé par l’Inde : qu’elle clarifie ses menées stratégiques, abandonne son « collier de perles » dans l’Océan Indien.
Dès le 09/09, un vice-ministre chinois tentait d’en convaincre ses partenaires : « la Chine ne cherche pas à contenir l’Inde par biais militaires ou autres ». Mais l’opinion indienne renvoie la balle, invitant la Chine à prouver ses intentions par ses actes…
La balle, désormais, est dans les mains de Xi Jinping !
Sommaire N° 30