Petit Peuple : Shenyang – le gros mensonge de Madame Shen

L’amour filial à la chinoise peut être rude. Mme Shen, à Shenyang (Liaoning) peut vous le dire. Elle incarne ce type de parents, qui n’hésitent pas à faire souffrir leur enfant « pour son bien ». Ces parents, on les appelle en Chine « parents- tigres », épithète, où se mêlent autant l’admiration que l’effroi. A la décharge de Mme Shen, il faut bien reconnaître qu’elle faisait face à un réel problème. C’est l’histoire bien connue, du couple nouveau riche qui ne se rend pas comtes des risques éducatifs que représente l’abondance. 

Cheng Cheng, leur petite fille, trouvait « nul » de faire son lit, de ranger sa chambre, et protestait quand sa mère passait la prendre à l’école en Citroën Fukang au lieu de la BMW avec chauffeur de papa – « ses amies allaient se moquer d’elle ». Quand on lui demandait de se lever de table pour aller chercher quoi que ce soit, elle protestait et trouvait toutes sortes d’échappatoires.

Pas de doute, Cheng Cheng filait du mauvais coton. Si rien n’était fait, elle s’acheminerait vers une vie de ratée, de profiteuse, laissant en friche d’évidentes qualités. Il fallait absolument la remettre sur les rails, lui infliger le châtiment du maître taoïste à son novice, 当头棒喝(dāng tóu bàng hè), « donner un coup de bâton sur la tête et crier », nécessaire pour redresser la barre. C’est pourquoi après avoir bien médité, Mme Shen prit le taureau par les cornes. 

Un jour, la fillette de 9 ans lui tendit, sans rougir, son carnet scolaire truffé de mauvaises notes et d’avertissements. C’est alors que sa mère lui asséna ce gros mensonge, affûté depuis des semaines : « Cheng Cheng, je ne suis pas ta véritable maman. Nous t’avons adoptée. Ta mère génétique t’avait confiée à nous peu avant de succomber à un mal incurable. Je lui ai promis de te soutenir jusqu’à la fin de tes études. Après ça, finie la vie de château, tu devras gagner ta vie ! » Stupéfaite, la gamine voulut d’abord lui tenir tête : « Vous me faites marcher ». « Mais non », soutint la Mme Shen, sans pitié.

Les semaines qui suivirent virent, la fillette se recroqueviller sur elle-même, perturbée, confuse, cauchemardant la nuit, pleurant au réveil – la mère laissait faire. 

Peu à peu, s’ensuivit sa métamorphose, sous les yeux ébahis de ses professeurs. Cheng Cheng commença à faire ses devoirs à temps, à apprendre ses leçons avec un perfectionnisme d’abord désespéré, puis complice, à mesure qu’elle prenait goût aux études. 

Son rapport aux autres, parents, enseignants, chauf-feur, a-yi…changea : prenant conscience de son besoin des autres, elle se mit à les écouter, comme si ce qu’ils avaient à dire pouvait avoir de la valeur, et les respecter. Et dorénavant, elle obéissait aux consignes. 

Ayant pris cette décision une fois pour toute (le père n’avait pas eu son mot à dire), la mère garda le silence. Elle se tut, même quand elle réalisa que le lien avec sa fille se distendait. 

Quand celle-ci eut 13 ans, elle déclara à ses « parents » qu’elle considérait désormais comme ses « tuteurs », qu’elle voulait entrer en pension. Pris à leur propre piège, les parents n’eurent d’autre choix que d’accepter.

Sous l’angle des résultats, les fruits du mensonge dépassèrent les espoirs les plus fous. Bourreau de travail, Chengcheng ne cessa plus d’être première, fut acceptée à la prestigieuse université Jiaotong de Dalian (un des établissements-phares de la région), et de nombreuses bourses lui furent accordées.
Mme Shen continuait à se murer dans son secret. Ce n’est qu’une fois sa fille employée dans une grosse boite de software du Dongbei, mariée, et pleinement indépendante, qu’elle se décida à avouer que Cheng Cheng était bien le fruit de ses entrailles, tous comptes faits. 

A cette choquante révélation, Cheng Cheng exprima une bien compréhensible surprise : pour quelle raison sa mère avait-elle si longtemps poursuivi la mystification, même après qu’elle-même se fût amendée ? Mais le désarroi fut de courte durée : depuis longtemps, la jeune diplômée était passée maître dans l’art de dompter ses émotions et garder son cœur en cage. La relation demeura inchangée, froide et courtoise. C’était trop tard : toutes ces années de tendresse volées, ne pouvaient plus être rattrapées. 

À vrai dire, dans le secret de son cœur, Cheng Cheng s’interroge. Sa mère avait-elle coupé le lien pour son bien ou pour avoir la paix ? Et si au lieu d’être une fille, elle avait été un garçon, aurait-elle pris la même décision ? Son pardon dépend des réponses à de telles questions…

Avez-vous aimé cet article ?
Note des lecteurs:
0/5
14 de Votes
Ecrire un commentaire