(Retrouvez également cet article en anglais sur Forbes – blog d’Eric Meyer )
Vue l’importance du riz dans l’alimentation de la Chine (1ère productrice, 143 millions de tonnes en 2014), tout changement dans ce secteur, notamment en politique rizicole, ne peut qu’avoir des répercussions sur la Chine elle-même. Sous cette perspective, nous devons braquer notre projecteur sur deux projets-clés du riz chinois, qui viennent d’être abandonnés—étrange coïncidence :
– Après 5 ans de débats, la tutelle agronomique a refusé (26/08) de renouveler les licences de culture expérimentale de riz OGM. Ce recul est spectaculaire. En 20 ans, des dizaines d’universités ont reçu au moins 3 milliards de ¥ de fonds publics pour créer des espèces de riz plus performantes par manipulation génétique (OGM).
En 2009, deux nouvelles souches de riz (+ une de maïs) étaient certifiées pour 5 ans (à la culture, non à la vente). Enrichie d’un gène spécifique, elles devaient permettre d’épargner 80% de pesticides, tout en grossissant l’épi. Sous 10 ans, les experts escomptaient 10% de récolte en plus. Or par la décision d’août dernier, tout ce programme national est gelé sine die.
Comme cause à ce revirement, la presse cite les progrès des semences hybrides et de l’agronomie, permettant au pays cet été, grâce à une politique basée sur le volume, d’engranger sa 11ème récolte-record consécutive, toutes céréales confondues. Les silos publics regorgent de grain (150 millions de tonnes), coûteux à stocker, et périssables. Or ce grain coûte 2 à 3 fois plus cher que sur le marché mondial, désordre inacceptable pour un pays en développement, aux ressources limitées. L’ensemble du système est donc à repenser, et l’OGM cesse d’être nécessaire, avant même d’avoir été lancé !
L’argument est valable, mais aux meilleures sources, d’autres voix en avancent un autre, moins brillant mais indiscutable : l’Etat retire son feu vert aux souches OGM, car elles sont entachées d’erreurs de manipulation. « Elles contenaient trop de risques, y compris pour l’image de la Chine. C’était du travail d’amateur ». Pékin, après tant de scandales alimen-taires, ne pouvait se permettre une nouvelle bombe à retardement.
Une autre objection a joué, quoique de façon moins pressante (la tutelle chinoise aurait pu vivre avec elle) : cet OGM était trop visiblement « inspiré » de Monsanto et d’autres leaders de cette technologie agrobiologique de pointe. Plaintes et poursuites auraient immanquablement suivi.
Aussi, en point d’orgue à cette saga, les autorités ont ordonné aux centres de recherches de réviser leur copie : un riz et un maïs OGM chinois seront bel et bien autorisés, une fois que des souches auront été mises au point, fiables et présentables !
– Fin août, Bangkok abandonne le programme « riz contre TGV », par lequel CSR et CNR, les géants ferroviaires chinois fournissaient les équipements que la Thaïlande paierait en riz (d’une qualité incomparable par rapport au chinois), voire en caoutchouc, au titre d’une déclaration d’intention passée en octobre 2013 avec le 1er ministre Li Keqiang en visite d’Etat. La liaison Kunming-Bangkok prévoyait deux dessertes, via Vientiane (Laos, petit allié de la Chine) et Chiangrai.
L’abandon a été décidé par les généraux thaï après leur coup d’Etat de février : un mois plus tard, sous la pression de l’armée, la Cour Constitutionnelle thaïe dénonçait cet accord passé avec Mme Y. Shinawatra, 1er ministre d’alors, qui tenait le pays pour le compte de son frère Thaksin, en exil. L’intérêt de Thaksin était de désenclaver le nord du pays (paysan, et rizicole), son vivier électoral, contrairement à Bangkok qui lui était hostile.
Mais la junte n’avait pas un tel souci. Une autre raison à la réticence des militaires, était la spectaculaire percée chinoise sur leur sol national, qui s’accentuait au fil des années : le TGV créerait pourtant de la prospérité, mais aussi de la dépendance…
Les mois qui suivirent ont vu s’amplifier cette valse-hésitation. Début août, du bout des lèvres, la junte acceptait de poursuivre le projet TGV au coût de 23 milliards de $. Mais fin août, elle affirmait sa décision (que la Chine acceptait bon gré mal gré) de payer en argent, et d’octroyer les contrats par appel d’offres – une méthode plus transparente et équitable. Le chantier devrait débuter en 2015, pour une inauguration en 2021.
Dernier détail, qui compte dans cette histoire : la liaison ferroviaire complète ne s’arrête pas à Bangkok mais à Singapour (cf carte) à 1425 km plus au sud. Elle est naturellement appelée à devenir un formidable outil de développement pour toute l’Asie du Sud-Est.
Sommaire N° 29