Après le vote de la loi antitrust en 2008, les trois entités de tutelle entament aujourd’hui sa mise en œuvre, ce qui provoque un véritable séisme du côté des entreprises.
Depuis 2013, les
Puis les choses s’emballèrent. En janvier 2014, les enquêtes de la NDRC démarrent dans 9 secteurs, visant 1000 entreprises. En août, les premiers résultats sont publiés : une frappe contre 30 groupes étrangers. 100 inspecteurs fouillent les bureaux de Microsoft dans 4 villes, puis ceux de Daimler (Mercedes-Benz) et de ses distributeurs dans 5 autres. La marque est accusée de facturer ses pièces détachées en moyenne 12 fois le prix de celles installées sur un véhicule neuf – une amende salée est à attendre. De nombreux autres constructeurs étrangers sont épinglés : VW, BMW, Audi…
Rétrospectivement, les infractions dénoncées sont de 4 types :
– La
corruption, tel chez GSK (pharmacie) ou Dumex (lait maternisé) qui payaient les médecins pour l’exclusivité de leur prescription.
– L’
entente, chez ces 12 équipementiers nippons taxés de 1,24 milliards de ¥ pour avoir organisé des quotas de pièces par province, assortis de prix imposés. C’est aussi le cas de quatre distributeurs de BMW, taxés de 1,63 millions de ¥ pour « prix fallacieux » et « fixés ».
- L’intégration verticale, punie déjà depuis 10 ans en Europe et aux Etats-Unis : des groupes très puissants sur leur marché tels Microsoft (95% en Chine) ou
Qualcomm (32%), imposent leurs prix et conditions. Microsoft aurait caché à l’Etat le montant réel de ses ventes de licences et imposé aux clients en marge du Windows, son logiciel Media Player. Qualcomm lui, aurait bien sûr gonflé ses prix. Sans lui en effet, et sans son unique concurrent le taiwanais Mediatek, il n’y aurait pas de 3G dans les smartphones et tablettes. Pour cet abus de position dominante, l’amende pourrait atteindre 1,3 milliard de $ soit 10% de son revenu local en 2013.
– Pas encore sanctionnée, mais dans le collimateur des média, une dernière pratique ne manque pas d’étonner les experts : celle de firmes telles Starbucks (café) ou Land Rover (4×4) qui parviennent à imposer en Chine un
prix très supérieur par rapport au reste du monde, malgré la présence d’une concurrence à prix raisonnable. Le client chinois choisit sciemment la marque !
Certaines actions de la NDRC sont litigieuses, telle sa tentative d’imposer à trois équipementiers de Stuttgart, d’entrer en JV et donc de remettre leur technologie et 50% des profits à un concurrent chinois. Toutefois, la démarche est peut-être vouée à l’échec : d’autres accessoiristes plus importants, tels Bosch n’ont pas fait l’objet d’une telle démarche, qui peut effectivement être interprétée comme une spoliation, et causera, si la NDRC insiste, la montée au créneau de gouvernements, voire de l’OMC.
Face à cette offensive des administrations chinoises, les producteurs étrangers font le dos rond—et pour cause : désormais une grande part de leurs profits se font sur ce marché, un des rares encore en progression.
Tous les groupes automobiles ont annoncé des baisses immédiates des pièces (de 12 à 38%), Qualcomm réclame un règlement à l’amiable, et le CEO de Microsoft, Satya Nadella, se rendra fin septembre à Pékin pour tenter de régler l’affaire. A ce stade, la Chambre de Commerce Européenne via son Président Jörg Wuttke, est la seule à se plaindre haut et fort, moins sur le fond que sur la forme d’ailleurs.
A la NDRC, de gros efforts sont faits pour présenter la démarche comme équitable, pour créer un système réglementaire protégeant le consommateur. Elle invoque aussi le manque de personnel pour faire appliquer la loi, et sa relative inexpérience après seulement 6 ans de fonctionnement.
L’apparent favoritisme en faveur des firmes locales peut s’expliquer par la toute puissance de certaines d’entre elles : les appuis politiques de consortia publics sont souvent supérieurs à ceux des administrations de tutelle. C’est le cas des lobbies du tabac ou du pétrole…
Fait insolite, les entreprises suisses semblent moins frappées par la machine antitrust : soit parce que ses groupes se sont prémunis à temps par une protection juridique adéquate et une pratique de prix inattaquable, soit par le biais de son accord de libre échange signé l’an passé.
Finalement, cette mise en place de la machine antitrust est-elle essentiellement protectionniste, ou bien un outil dans l’arsenal devant mener la Chine vers l’Etat de droit ? On y verra plus clair, sans doute, dans une dizaine d’années. Mais entre ces deux options, instinctivement, on miserait plutôt sur la seconde.
Sommaire N° 28