Coup de théâtre le 30 juin au journal télévisé : le Général Xu Caihou, ex-n°2 de l’armée jusqu’en 2012, était exclu du Parti, envoyé en cour martiale. Il entraînait dans sa chute Jiang Jiemin, ex-patron de la SASAC (la méga agence des consortia publics), Li Dongsheng ex-vice-ministre de la Sécurité Publique, et Wang Yongchun, l’ex-n°2 de la CNPC (Compagnie Nationale Pétrolière).
Quel est le lien entre ces hommes aux profils si divers ? Tous sont vassaux de Zhou Yongkang, et furent placés par lui à des postes stratégiques du pouvoir. Maître absolu de 2002 à 2012 du pétrole et de toutes les polices, Zhou était ennemi de Xi Jinping, et peut-être impliqué dans un complot jamais élucidé avec Bo Xilai contre lui, fin 2012. Depuis son arrivée aux affaires, Xi négocie en interne auprès des alliés et obligés de Zhou, pour obtenir le procès de ce dernier.
Cette 1ère liste de limogés fut votée le 29/06 au Bureau Politique, pour corruption (notoire, au demeurant).
Mais dès le 20 juin à Shanghai, un autre avis encore plus crucial avait été sollicité : en marge du Sommet asiatique CICA, Xi avait discrètement prié Jiang Zemin, Président de 1989 à 2002, d’approuver le principe de ces procès, à commencer par celui de Xu. Au nom de la règle d’impunité aux vieux dirigeants, Jiang avait d’abord refusé. Puis se ravisant, il accepta, « pour la santé du Parti, de le débarrasser des cellules cancéreuses », (cité par Willy Lam). Selon la rumeur, Jiang valida aussi le principe du procès de Zhou, mais ne céda pas sur le sort de Zeng Qinghong, son ex-vice-Président : « pour Zeng, rien ne doit se faire avant ma mort ».
C’est donc un coup de fouet pour la campagne anti-corruption, dite « des 4 vices » (extravagance, hédonisme, abus de pouvoir, formalisme). Celle-ci crée une ambiance très spéciale, décrite par certains comme « terreur douce » : très inquiets, les fonctionnaires se terrent, ne décident ni ne disent plus rien, ou bien hurlent avec les loups et dénoncent à leur tour, pour se sauver… L’épilogue, le procès de Zhou, pourrait se tenir lors d’ un 4ème Plenum en août…
Parmi les dernières prises de cette « chasse aux tigres » figure Liang Bo, vice-directeur électricité à l’Agence Nationale de l’Energie. Puis Ji Wenlin, Yu Gang et Tan Hong (le 02/07), tous trois des hommes de Zhou, et très hauts cadres. Tombent aussi deux hommes de Hu Jintao, le prédécesseur de Xi Jinping : Wan Qingliang, prometteur Secrétaire du Parti à Canton, et Ling Zhengce, haut cadre dans le Shanxi.
Il se trouve qu’en mai dernier, Hu venait de prier Xi de brider sa campagne, au nom de la stabilité de l’appareil—une démarche qu’avait aussi faite Jiang. Mais la réponse de Xi apparaît un camouflet : Hu n’est même plus capable de protéger son clan. Envers Jiang Zemin, la différence de traitement est évidente : Xi s’est donné la peine de lui rendre une visite matinale en son fief de Shanghai, puis dans l’après-midi, se montra en ville accompagné de son fils Jiang Mianheng, qu’il protège ainsi implicitement des efforts de la police du Parti…
Ainsi, sous couvert de campagne anti-corruption, Xi démantèle une à une les forteresses claniques, tout en cultivant l’image d’un conservateur solitaire. Elle est peut-être fausse,et sans doute de moins en moins populaire. Mais elle lui permet de brouiller les pistes : en politique chinoise, c’est une condition sine qua non du succès..
Sommaire N° 26