Retenez bien ce nom : « JingJinJi » (京津冀), l’acronyme du futur grand Pékin, élargi à Tianjin et au Hebei, 130 millions habitants intra mu-ros interconnectés. Sur ordre de Xi Jinping, le plan directeur a été adopté au Conseil d’Etat : classé comme « stratégique », il embolisera 6790 milliards de $ de travaux sur ses 216.000 km².
On en parle depuis 20 ans, mais les écarts de richesses (15.000$/an de revenu moyen à Pékin, 11.500$ à Tianjin, et seulement 6.300$ au Hebei) et le système du « hukou » (permis de résidence) ont tout bloqué jusqu’à présent. Exemple, une fille du Hebei qui épouse un Pékinois, n’a pas accès (ni leurs enfants plus tard) aux hôpitaux et écoles de la capitale, qui sont bien meilleurs. La ville de Pékin, les familles elles-mêmes, veillent jalousement à conserver ces privilèges.
Il faudrait aussi remiser des réflexes d’économie planifiée telle l’appartenance à une unité de travail (« danwei ») et permettre, par exemple à un habitant de Handan (au Sud du Hebei) d’accéder à des services de qualité (santé, transport, banques) en allant à Miyun (au Nord), en un temps record, sans passer par Pékin.
Or, si Li Keqiang et Xi Jinping veulent intégrer la région, c’est qu’ils la voient fonctionner très en dessous de son potentiel, payant au prix fort ses égoïsmes locaux : avec 1000 milliards de $ de PIB en 2013, elle atteint le niveau de la Corée du Sud qui est 3 fois moins peuplée (donc 3 fois plus riche). Et quoique riveraine d’un gol-fe de Bohai avec sa façade maritime en or, elle n’est que 3ème poumon économique du pays, derrière Shanghai et Canton.
De même, son incohérence industrielle la réduit à produire « pour l’intérieur », à petits prix et faible technologie. Elle n’exporte que 15% de son PIB, contre 60% au delta du Yangtzé et 63% à celui des Perles. Face à Shanghai ou à Canton, elle est la belle au bois socialiste dormant.
En Chine du Nord, toucher aux privilèges de Pékin et/ou des cadres, et donner aux citoyens des outils pour s’organiser sont des discours qui sentent toujours le soufre. C’est une des raisons pour lesquelles les leaders précédents n’ont pas réalisé plus tôt cette grande région, et se sont consacrés à d’autres grands ateliers (tel le rattrapage du Grand-Ouest).
Aussi à présent, tout reste à faire : Gao Jinghao, directeur des transports du Hebei, veut mailler le territoire d’un réseau serré routier et ferré, avec cartes de transport uniques et prix subventionnés. Deux nouveaux périphériques sont adoptés : un 7ème de 940 km entre Zhangjiakou (Ouest) et Chengde (Nord-Est), suivi d’un 8ème de 1250 km sur ce même parcours, additionné de Tianjin (cf photo), Baoding et Tangshan. Quatre autoroutes transversales Nord-Sud, autant dans le sens Est-Ouest désenclaveront tous les cantons. Des TGV raccourciront la route vers Shenyang ou Zhangjiakou. Quatre ports maritimes et deux aéroports verront le jour.
Un plan d’occupation des sols émerge. L’environnement sera roi. Le Hebei hériterait des industries lourdes, Tianjin des légères, Pékin des servi-ces. Le hukou disparaîtrait, au profit de la libre circulation des travailleurs. Le commerce de gros et certains ministères seraient délocalisés.
Mais il y a loin de la coupe aux lèvres. Les problèmes non résolus sautent aux yeux. Pékin ne peut espérer couper sa pollution en déplaçant ses industries sales à 100 km, tout en interdisant aux vents de ramener vers elle le soufre, le CO2 et les PM2,5 émis depuis les nouveaux sites.
Il ne peut pas plus forcer ses cadres ou petits commerçants à partir refaire leur vie à Tangshan, sans cliniques, cinémas et restaurants de qualité pour les accueillir, et à des salaires moins élevés. Il faudrait bien sûr que des dizaines d’organes de contrôle disparaissent, tout comme les barrières intérieures, et que les mairies cessent de subventionner à perte leurs PME polluantes. Il faudrait aussi que disparaisse le « 7ème périph » actuel, comme on l’appelle par dérision : les couronnes de déchets non traités, autour des villes…
Sommaire N° 26