Xinjiang : Pékin en guerre contre la guerre sainte

La très sérieuse Jamestown Foundation l’affirme dans son rapport du 23/05 : les attentats depuis novembre 2013 entre Pékin, Kunming, Canton et Urumqi (plus de 80 morts, des centaines de blessés) seraient l’œuvre du « Turkestan Islamic Party » (TIP), groupuscule de 300-500 Ouighours en Afghanistan et au Pakistan. Créé en 2008 et dirigé par Abdullah Mansour, le TIP serait soutenu par un «grand frère » proche d’Al Qaeda, l’« Islamic Movement of Uzbekistan ».
Visant les Hans, ces attaques suivraient la même stratégie que celle de l’ « Emirat du Caucase » contre les Russes ethniques de la zone : redoubler les violences pour les intimider et les inciter à repartir. 

La Chine apparaît donc une cible de choix pour une organisation internationale terroriste panislamique d’Asie centrale pour trois raisons : 

– 1. en tant que riche nation émergente

– 2. elle est voisine du Pakistan, Afghanistan, Kazakhstan et Kirghizstan (d’où matériel et instructeurs peuvent s’infiltrer de presque toutes les frontières du Xinjiang)

– 3. la Chine peuvent devenir le nouveau front potentiel, pour relayer celui d’Afghanistan, en cours d’extinction avec le retrait inéluctable de l’US Army. 

Très meurtrière (44 morts, 90 blessés), la frappe au marché d’Urumqi (22/05) a choqué toute la Chine, de la rue aux antichambres du pouvoir. Guo Shengkun (cf photo), ministre de la Sécurité Publique, fut dépêché sur place pour lancer une contre-offensive sans états d’âme. Huit jours après, sous réserve d’inventaire (de sources seulement officielles), les 5 auteurs ont été identifiés et le seul survivant arrêté. 

A Yarkand (Kashgar), 4 bombes furent désamorcées (24/05), mais une explosa – les dégâts ne sont pas connus. Le même jour, une rafle simultanée sur Yili, Hotan et Kashgar démantela 23 cellules et arrêta 200 apprentis terroristes qui se formaient au moyen de cassettes passées sous le manteau.
À Hotan, 2 arsenaux furent découverts (1,8 tonne d’explosifs et autres matériaux saisis) et 5 hommes arrêtés, dont le chef Abuliz Dawut, « sur le point de lancer une frappe du même scénario qu’Urumqi, visant un bain de sang ». 

Guo Shengkun Urumqi

A Pékin les 26-27/05, le Politburo décrète une année de guerre à la violence, sous forme d’une campagne yándǎ (严打, « frapper fort »). Apparaissent sur le champ à Pékin et Shanghai, des véhicules importés, blindés (jeeps à 8 places, bus grillagés), des hélicoptères destinés à convoyer les tireurs d’élite et des patrouilles.

L’approche du 25ème anniversaire de Tian An Men fait monter la tension.
A Pékin, les SWAT, pelotons antiterroristes, ont ordre de tirer sans sommation. À Urumqi, les troupes campent et patrouillent devant la Grande mosquée, les écoles, supermarchés, karaokés…
À Chengdu, 8.000 policiers et 30.000 miliciens crapahutent en quête de suspects. 80.000 brochures sont distribuées à Kunming, sur les moyens de repérer le terroriste, et de s’en protéger. À Yili (Xinjiang, 27/05, cf photo), 7000 Hans assistent dans un stade aux de 55 malfaiteurs verdicts (3 peines de mort) aux noms pour la plupart ouighours.

Lors de sa session, le Politburo a aussi reconfirmé sa stratégie : fermeté et croissance. Cette année, le territoire, grand comme trois fois la France, dépensera 150 millions de $ dans des formations aux métiers traditionnels (artisanat, agriculture, médecine ouighoure) pour garantir « au moins un emploi par foyer ». L’Etat souhaite ainsi réduire l’écart de revenus entre Ouighours et Hans, qui va du simple au triple (dans le monde agricole, 3900¥ par an contre 12.100¥ par an).
Il prétend aussi promouvoir le bilinguisme, éliminer les vexations inutiles contre la « religion patriote » et multiplier les activités entre ethnies, pour qu’elles se connaissent et s’acceptent. 

Enfin, une mesure d’urgence est prise, pour pallier la chute dramatique du tourisme (-40% en 2013) : tout visiteur au Xinjiang recevra une prime de 500¥, et les 8 pays frontaliers seront sollicités pour faciliter les visas touristiques depuis le territoire. Mais sur le terrain, dans la spirale des attentats, la suspicion réciproque est insoutenable. 

Détail qui doit inquiéter à Pékin : 65 cadres ouighours, y compris des militaires et des membres du Parti, ont été sanctionnés pour commentaires antichinois ou emails appelant à l’intifada…

 Le 27/05, le Politburo concluait par une formule dérangeante : « la politique de la nation à l’égard du Xinjiang a démontré sa totale justesse ». Heureusement, cette phrase semble fai-te pour rassurer les ultraconservateurs—mais totalement contredite par les principes énoncés plus haut (plus d’emploi, de liberté de religion et d’activités interethniques).
Or, dès juin un 5ème Plenum du Comité Central va clarifier et renforcer ces mesures. La Chine est peut-être en train, sur son Xinjiang, d’opérer un virage à 180° !

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