Un mois après le forcing de la Chine sur ses voisins (l’installation à 220km des côtes vietnamiennes de la plateforme pétrolière HD981), la première occasion de s’expliquer a eu lieu au « Shangri-La Dialogue » à Singapour (30/05-01/06), Forum asiatique de la sécurité.
La Chine était présente, face aux pays riverains et aux Etats-Unis représentés l’émissaire d’Obama, l’expert stratégique Ch. Hagel. Elle affrontait aussi Shinzo Abe, le 1er ministre nippon qui faisait le discours d’ouverture. Abe était venu offrir à ses voisins de faire contrepoids à la puissance militaire chinoise (sans la nommer), comme complément et alternative à la US Navy. Pour ce faire, il faudrait changer la Constitution nippone, ainsi que le Traité de Défense avec les USA. Or, si des pays tels Malaisie, Myanmar, Laos et Cambodge craignent toujours de s’associer à cette démarche, vu leur dépendance directe à la Chine, d’autres tels les Philippines et le Vietnam se montrent prêts désormais à sauter le pas…Hanoi réclame déjà l’aide japonaise sous forme de navires garde-côtes en fin de carrière -Tokyo en a déjà remis 10 aux Philippines. Et désormais, le Vietnam envisage aussi de suivre Manille dans une plainte contre la Chine auprès d’une cour des Nations Unies, pour viol de ses eaux territoriales.
Ce « Shangri-La Dialogue » marque donc un tournant dans les rapports stratégiques régionaux depuis 1945. Confronté à ce rendez-vous difficile, la Chine a joué finement. Pour estomper son image de « puissance militaire », elle se garda d’envoyer son ministre de la Défense, préférant se faire représenter par le n°2 de l’Etat-major, le lieutenant-général Wang Guanzhong. Et à la tête de sa délégation, elle plaça Mme Fu Ying, ex-vice ministre des Affaires étrangères. Jusqu’à récemment, Mme Fu passait pour une modérée, jusqu’au jour où elle s’avéra aussi mordante que le plus tenace des négociateurs chinois : avec elle, la Chine pouvait à la fois jouer la souplesse et l’intransigeance, défendre sa position sans rien céder, ni risquer de se retrouver totalement isolée.
Comme toile de fond à l’ouverture du « Shangri-la Dialogue », deux incidents maritimes venaient d’avoir lieu, chacun illustrant la récente assertivité de la Chine face à ses voisins.
– Le 25/05, un quasi-accrochage avait lieu au-dessus de la mer de Chine de l’Est, entre aviations nippones et chinoises, chacune prétendant faire respecter sa zone de défense aérienne, chacun ayant édicté des zones se chevauchant, concurrentes et sans négociation préalable.
– Le 27/05, un chalutier vietnamien enfoncé par un navire chinois, coula. Les 10 hommes d’équipage furent recueillis par leurs compatriotes. Il s’ensuivit une cacophonie d’accusations réciproques. En arrivant sur la zone litigieuse, la flottille vietnamienne avait une surprise : la plateforme HD981 avait disparu ! La COSL, sa firme gestionnaire, l’avait déplacée vers une autre zone, tout en faisant deux annonces : le travail de prospection ici, était fini, et elle était « très confiante » de trouver du gaz sur la zone. Ce qui, si la Chine commence à l’exploiter, ne pourra que porter l’animosité à de nouveaux sommets…
Mais pourquoi, au fond, Xi Jinping a-t-il décidé cette action qui exacerbe des sentiments négatifs envers son pays ? C’est la question que B. Aquino, Président Philippin, avoue se poser « chaque matin ».
A cette interrogation légitime, nous suggérons cette double réponse:
– Comme on le voit sur internet, l’aura personnelle du Président Xi en ressort très renforcée : la majorité cocardière lui dédie sa gratitude, pour cette expression sans complexe de la puissance nouvelle du pays.
– Même l’isolement de la Chine, qui découle de cette offensive, joue en faveur de Xi : les alliances de défense qui se tissent, ranime la vieille hantise chinoise d’être « bloquée » dans sa croissance par une coalition dirigée par les Etats-Unis. Et face à ce « danger fictif », Xi voit la discipline et la loyauté au Parti, de l’armée et des citoyens, renforcées. Ce qui lui permet de réaliser ses programmes d’expansion territoriale et de réformes, sur mer comme sur terre.
Sommaire N° 22