Tel un mustang mal dompté, la rivière Jinsha, sur le cours supérieur du Yangtzé, est harnachée de 12 barrages d’une puissance de 59GW, presque l’équivalent du parc hydro des Etats-Unis. Parmi ceux-ci, bâti entre 2008 et 2013, Ludila (cf photo) au Yunnan se dresse à 140m, estimé à 5GW (soit 5 réacteurs nucléaires classiques).
Depuis mai, Ludila est au cœur d’un scandale suite aux révélations courageuses de China Enterprise News (CEN).
Au 29/06/2013, le manteau du barrage subissait un accident : une vanne, qui protégeait trois turbines, céda sous une pression d’eau, trois fois plus forte que prévu. Depuis, selon le journaliste de China Enterprise News, une autre faille s’est déclarée à la base, si grave qu’elle ne peut être inspectée par des plongeurs, vu la force du courant.
Sur l’accident, Jinsha Hydro, la firme gestionnaire, prétend (faussement, semble-t-il) que tout est réglé.
Huadian, la maison-mère, se retranche derrière une « enquête en cours ». Seul Liu Qi, vice-directeur à l’Agence Nationale de l’Energie, ose dénoncer une « mauvaise qualité des travaux et des préparatifs précipités par une firme avide de retour sur investissement ».
China Enterprise News évoque une perte de 600 millions de ¥, en électricité non produite quoique déjà contractée. Mais vu le coût d’investissement de 3,5 milliards de $ et les destructions sur l’environnement, en amont (réservoir vide, aride) et en aval (berges et fonds arrachés), on est loin du compte. Ma Jun, d’un institut d’affaires publiques et environnementales, parle de « dommages irréversibles ».
Ce qui frappe ici, est la puissance apparente du lobby entre un groupe électricien (Huadian, 10% du courant national) et une province (le Yunnan), face à la faiblesse de l’Etat.
En 2009, constatant de multiples irrégularités et l’absence d’étude d’impact écologique, le ministère de l’Environnement avait fait interdire Ludila, lequel mystérieusement, obtenait son feu vert en 2012. Le lancement eut lieu en mai 2013 – un bref laps de temps qui suggère que les travaux n’ont jamais cessé. Après quelques semaines de fonctionnement seulement, eut lieu l’accident. Alors l’opérateur et la province parvenaient à maintenir une censure totale, « secret d’Etat », en dépit des risques vitaux pour les communautés en aval.
Tout ceci rappelle, l’été orageux de 1998 qui avait fait monter l’étiage du Yangtzé, brisant des digues sur le cours inférieur.
Les grandes villes en aval, dont Shanghai, n’avaient évité la submersion que par la mobilisation de l’armée et de centaines de milliers de volontaires, durant 3 jours et 3 nuits, colportant des sacs de sable. Le 1er ministre Zhu Rongji avait alors fulminé contre les « digues de tofou », avant de lancer un programme en milliards de $ pour vérifier toutes les digues du pays. Aujourd’hui, sur le réseau de barrages du haut-Yunnan, le problème semble resurgir.
Sommaire N° 22