« Sur le gaz sibérien, Chine et Russie finiront par s’entendre », nous confiait déjà en 2004 un expert de chez Shell. L’histoire lui donne raison, 10 ans plus tard.
Le 21/05 à Shanghai, Vladimir Poutine et Xi Jinping signaient ce qu’on peut légitimement appeler le « contrat du siècle », avec ses 400 milliards de $ d’échanges sur 30 ans.
Jusqu’en 2034, Rosneft livrera donc 38 milliards de m3 par an de méthane à la CNPC, compagnie nationale pétrolière. Les deux parties suggèrent une remise de 25 à 40% sur le tarif russe de 2013 –jusqu’à 75 milliards de $ de ristourne sur 30 ans. Le prix serait tout de même supérieur aux 350 $ par 1000 m3 que paie Pékin au Turkménistan, son principal fournisseur en Asie Centrale.
Une rente stable pour Moscou
La Chine semble donc avoir gagné la partie, sous l’angle tarifaire. Il faut dire que son énorme commande à long terme, assure une rente stable à Moscou. D’autre part, en litige sérieux avec l’Europe et les Etats-Unis à propos de l’Ukraine, la Russie avait besoin d’un succès rapide, d’une démonstration d’alliance en Asie.
Cela dit, les conditions annexes, quoiqu’encore floues, viennent modifier le tableau, sous forme de concessions de part et d’autre. Moscou a re-noncé au principe (mondial) du prépaiement. Pékin a détaxé les imports de ce gaz, et toléré (contrairement à l’attitude des autres acheteurs mondiaux ces derniers temps) que ce gaz reste indexé au cours du pétrole, actuellement plus élevé du fait de l’arrivée sur le marché de forts volumes de gaz de schiste.
Surtout, la Chine devrait lourdement financer le développement des deux gisements sibériens concernés, de 4000 km de gazoduc et du terminal GNL prévu à Vladivostok. Moscou doit payer 55 milliards de $, et Pékin 20 milliards de $ au titre du parcours chinois. Mais selon Poutine, la Chine lui prêterait 50 milliards de $ (remboursés en gaz). Si cela se vérifie, Moscou obtiendrait sans bourse délier un outil hors pair, lui permettant de livrer à la Chine côtière, mais aussi au Japon et à la Corée.
Pour évaluer la portée de l’accord, il faut se rappeler le chemin parcouru au fil des siècles. Face à l’Empire du Milieu, la Russie a longtemps vécu un mélange de racisme et de crainte (le « péril jaune »). Puis à une vingtaine d’années d’amitié « révolutionnaire », ont suivi 31 ans de guerre froide, puis après 1989, 25 ans de valse hésitation. En 2007, Poutine lui-même, refusait de louer au « rival chinois » trois petits ports qu’elle lui demandait sur sa façade pacifique…
Un deal « gagnant-gagnant »
Ce contrat permet aux deux leaders d’apparaître vainqueurs : Poutine, en bouclant une négociation qui s’éternisait, et Xi, en donnant au pays des moyens de gagner son pari contre la pollution : de brûler, comme il le prévoit, 410 milliards de m3 de gaz en 2020, contre 170 milliards en 2013. Mais au-delà des chiffres, ce deal engage Russie et Chine vers un rapport radicalement neuf, supposant un engagement mutuel, au seuil d’une interconnexion économique.
Ainsi la Chine, en plus d’une participation probable aux gazoducs et au terminal de Vladivostok, équipera le voisin nordique en usines automobiles, électroménager… et lui achètera plus de centrales nucléaires, et plus d’armes high-tech, et autres. Au plan agronomique même, Moscou devrait progressivement permettre l’ouverture de méga-fermes chinoises en terre sibérienne.
C’est donc une nouvelle ère qui commence : européenne de souche, la Russie regarde –comme d’autres– vers la Chine pour son avenir. On peut la comprendre : le Fonds Monétaire International prédit, pour 2014, une croissance russe de 0,2%. Contre cette apathie de belle endormie, la Chine, avec son dynamisme et ses technologies low-cost, pourrait s’avérer être un bon stimulateur !
Sommaire N° 21