Suite de notre reportage sur le projet « Café » de Nestlé au Yunnan.
À la tête de son exploitation de café de 20 hectares, qu’il cultive depuis 1997, le père Liao, 70 ans, produit 4 tonnes par ha, un rendement double de la moyenne. En 2008, ses deux enfants voulaient quitter la campagne pour la ville, et se trouver des emplois mieux payés et moins fatigants. Mais depuis, la prospérité de la ferme et l’enrichissement de la famille, les a fait changer d’avis : tous deux vont rester dans le métier, l’un va reprendre la ferme, l’autre se lance dans le négoce de cet or vert. C’est ainsi que le café offre soudain, au Yunnan, une chance de briser la courbe infernale de l’exode rural !
En 2011, après une décennie d’efforts, Wouter De Smet, manager du Centre Nestlé de Simao, et son équipe estimèrent les producteurs de café prêts à passer à l’étape suivante : l’agriculture durable, respectant le code de « bonne conduite » dit « 4C » (Common Code for the Coffee Communities), élaboré en 2003 conjointement par les communautés caféières du monde entier.
Ce code poursuit quelques objectifs simples, pour éviter l’épuisement des sols et la pollution. Les pesticides chimiques sont interdits, les eaux usées sont recyclées, et les déchets deviennent engrais. La chasse est interdite, pour laisser les oiseaux combattre les insectes. Le travail des enfants est banni. Et chaque ferme désormais, doit tenir un livre de comptes, fourni par Nestlé, permettant d’enregistrer les travaux quotidiens. Ainsi, le paysan prend conscience de ses coûts (notamment l’usage des engrais, dont les fermiers chinois abusent souvent).
Ce passage au « 4C » suppose donc un investissement, à leur charge. En échange, ils reçoivent quelques bonus, telle la fourniture gratuite d’arbustes pour la biodiversité (protégeant les caféiers l’été contre la sécheresse, l’hiver contre le gel), ou les commandes groupées d’engrais à 20-30% moins cher.
Nestlé leur offrit trois ans pour se conformer à ces règles, et à la prochaine saison 2014, seules les fermes « 4C » pourront fournir Nestlé.
« Au début, nous étions soucieux, se rappelle De Smet. Pourquoi les paysans accepteraient-ils d’investir pour passer au « 4C », sans les payer davantage ? Mais très vite, on a été rassurés. Alors que le temps normal de conversion d’une ferme est de 6 mois, certains fermiers étaient prêts après seulement 60 jours ! Nous avons alors réalisé que ce dont les paysans avaient le plus besoin, était d’être reconnus et valorisés par le label « 4C », arboré fièrement par une plaque d’acier, affichée à l’entrée de la ferme (cf photo) ».
En mai 2014, Nestlé compte 3 « unités » de 1429 exploitations, faisant vivre 25,176 habitants. 416 autres sont en cours de labélisation pour rejoindre une 4ème unité en novembre. La plus petite ferme fait 0,4 hectares (900 kg par an) et la plus grande, 453ha (890 tonnes). Mais quelle que soit la taille, le coût de la vérification « 4C » est le même, et c’est Nestlé qui sollicite et finance l’inspection des fermes par le secrétariat mondial « 4C ».
La règle du jeu est stricte et connue de tous. Dans chaque unité, quelques fermes sont choisies au hasard par des inspecteurs venus de l’étranger : qu’une seule soit prise à frauder (par exemple, en employant des pesticides interdits), et c’est toute l’unité qui perd le statut « 4C ».
Une particularité chinoise
Toutefois, Nestlé s’est trouvé confronté à une contradiction spécifique du monde rural chinois—l’individualisme, la méfiance envers l’infrastructure coopérative. Chaque ferme doit investir dans un équipement coûteux, entre machines et bassins de décantation pour extraire la fève de la baie. C’est un gaspillage, car ces équipements qui ne servent que quelques semaines par an, pourraient être partagés.
« C’est vrai, admet De Smet, bien que les paysans s’entraident pour les tâches difficiles, nous n’avons pas réussi à les convaincre de partager le matériel ». Ce qui s’explique peut-être par le souvenir encore frais du collectivisme obligatoire par le passé…Peut-être que d’ici une génération, les mentalités auront changé, et ils seront moins rebutés par cette idée.
Toujours est-il que partant du projet de s’approvisionner en fèves de café, Nestlé,presque sans s’en rendre compte, a réalisé un tour de force en lançant une double révolution locale, avec une bénédiction des autorités : il a doté les fermiers d’une organisation autonome du Parti, et leur a permis de se lancer dans un type d’agriculture spéculative et écologique.
Quand on découvre que l’investissement de Nestlé pour ce projet, depuis 2002, a été de 6 millions de $, on se dit que rarement une mini-révolution agraire aura été menée en si peu de temps, et à si bon compte !
Retrouvez cet article en version anglaise sur le blog d’Eric Meyer - Forbes
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