Début mai, la Chine plongeait en crise la région de mer de Chine en installant une plateforme de forage à 221km des côtes du Vietnam. La HD-981, sa ville flottante à 800 millions d’euros, était protégée par une flottille de 86 navires civils et militaire (dont un sous-marin et un lance-missiles), contre les bateaux vietnamiens venus protester.
C’est un vieux problème : au nom d’une carte dite « aux neufs pointillés » rédigée sous Chiang Kai-chek, la Chine socialiste revendique la globalité de la mer portant son nom. Or ces dernières années, son enrichissement lui a permis de construire une flotte militaire, avec laquelle elle harcèle aujourd’hui les pays riverains. Ce faisant, elle flatte une opinion cocardière, persuadée qu’il est temps, après des siècles d’humiliation, d’aller « récupérer son bien : la mer de Chine ».
Pour C. Thayer et T. Fravel, experts de ce dossier, ce geste de Pékin s’inclut dans une « stratégie préméditée d’affirmation territoriale », faisant suite à l’imposition en 2013 d’une zone d’identification de défense aérienne (ADIZ) sur des eaux internationales. Cependant, en fin calculateur, tout en justifiant son geste comme « normal et légal », Pékin observe les réactions.
Bon nombre d’experts, ainsi qu’un diplomate américain, croient que la Chine a décidé ce coup de poker, suite à la confiscation de la Crimée par la Russie à l’Ukraine, à laquelle l’Occident, Europe et Amérique, n’ont opposé que silence et sanctions symboliques. Face à Hanoi, Pékin savait ce qu’il faisait : ce gouvernement de conservateurs admire intensément la Chine et en dépend pour son développement. En octobre de passage à Hanoi, le premier ministre chinois Li Keqiang était reparti avec un soi-disant « accord » pour gérer ce conflit…
L’ASEAN appelle à la modération
L’ASEAN de même, était gagnée d’avance à la Chine, qui y compte des vassaux comme le Cambodge. Le déplacement de la HD-981 avait été programmé la veille d’un sommet de l’organisation d’Asie du Sud-Est, tenue en Birmanie. Elle s’est conclue le 11/05 sans même citer la Chine, se bornant à appeler « toutes les parties à la modération », étalant ainsi à la face du monde son absence de solidarité.
Mais ce que Pékin semble n’avoir pas prévu, est la fierté des Vietnamiens et leur combativité, qui a pris le pouvoir vietnamien en porte-à-faux. A partir du 10 mai, les manifestations déferlèrent, violentes. Au 16 mai, 400 usines avaient été incendiées, dont un parc industriel à 16 milliards d’euros en construction par Formosa Plastics (Taiwanais avec participation chinoise). Les médecins citent « au moins 21 morts » et des centaines de blessés, y compris parmi les services de sécurité vietnamiens. Epouvantés, des milliers de Chinois quittèrent le pays en catastrophe, aller simple.
Pris entre deux feux, le 1er ministre vietnamien envoya le 16 mai un message par SMS à des millions de concitoyens, ménageant la chèvre et le chou : « les protestations sont légitimes… mais les fauteurs de troubles seront punis »…
On en est là : la Chine s’accroche à son exigence, mais le moment approche, où Pékin va devoir choisir : négocier avec ses voisins un partage, ou tenter le forcing pour emporter le tout – c’est sa position actuelle, et elle réitère sa volonté de ne pas lâcher « pas un cm² de son territoire sacré ».
Quant aux Etats-Unis, durcissant le ton, ils affûtent un ultimatum : « en contact étroit avec Hanoi pour gérer l’avancée chinoise », ils déclarent que ces agissements « compromettent la capacité des deux pays de coopérer en Asie, voire même tout court ».
Les Philippines apportent leur soutien aux Etats-Unis
C’est le moment que le Président philippin B. Aquino choisit pour publier une photo présentant des travaux chinois sur un atoll proche de ses côtes (Palawan). Manille attend le verdict d’une cour d’arbitrage de La Haye, suite à sa plainte contre la revendication chinoise sur la globalité de la mer de Chine du Sud.
Aquino jette son poids dans la balance, offrant à l’US Air Force une base en pleine zone du litige. Ainsi, sur les sons qui reviennent de cette mer de Chine, impossible de se méprendre davantage : ce sont des bruits de bottes. Et depuis les années 1980 et le dernier conflit sino-vietnamien, rarement la Chine s’est retrouvée si isolée, avec pour seul allié certain, le Cambodge…
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