En 1965 dans sa banlieue grise de Chongqing, le petit Liu Chonghua trompait l’ennui en rêvant de fées et de princes dans leurs châteaux.
L’histoire se chargea de le rappeler aux réalités : durant la Révolution culturelle, il dut creuser des fossés, entre autres corvées. De ces années de chien, il contracta une fièvre de revanche, celle de créer par lui-même.
Dès 12 ans, après l’école, il allait avec son frère gagner trois sous auprès des propriétaires d’un four à charbon de bois. A 16 ans, il vendait des oranges.
A 24 ans, en 1979, s’étant initié en autodidacte aux arcanes des bains argentiques et de la chambre noire, il ouvrait son premier studio photo, bientôt suivi du second et du troisième. Il y serait encore, si la mairie n’avait fait fermer ses salons, sur demande de concurrents publics jaloux de son succès.
C’est en avril 1983 que germa l’idée de génie, celle qui propulse tout milliardaire. Un copain l’avait invité et régalé d’un gâteau chimique et fade mais pas cher, à 8 mao. « Euréka, le voilà mon tremplin pour la gloire ! » se dit-il.
Avec deux associés, Liu lança Watson Park, sa pâtisserie aux 7 employés, un tricycle de livraison et un petit local loué. Liu ne doutait de rien, et se voyait un peu trop vite arrivé. En juin, l’affaire avait perdu 2000¥ à cause d’un mauvaise gestion—un pactole pour l’époque ! Les conditions de travail étaient précaires : une explosion au gaz causa un mort et un blessé parmi son personnel. Il emprunta plus de 10.000¥ pour payer les soins et les obsèques, et pour compenser les familles.Mais l’inspection de sécurité alimentaire l’avait à l’œil désormais. Elle débarqua a veille de la fête nationale, au moment où la PME chargeait des centaines de gâteaux pour les vendre sur son stand. Les agents prélevèrent la marchandise et posèrent les scellés. Quand ils revinrent le surlendemain pour donner le feu vert (ayant vérifié que la pâtisserie était aux normes), toute la fournée était rassie, et l’occasion perdue…
Ce fut le moment que choisirent les associés pour se sauver. Watson Park avait alors 70.000¥ de dettes. Et pendant tout ce temps, tiquait la pendule des intérêts du prêt usuraire, 10% par mois. A une telle série noire de galères, n’importe qui aurait baissé les bras. Mais pas Liu Chonghua.
Avec son certificat d’hygiène, il obtint de la banque 30.000¥ en cash, lui permettant de se refinancer à bon prix. Il put ainsi recruter un pâtissier
En 10 ans, bien entouré, il se créa des contacts, trouva de nouveaux clients, inventa des gâteaux haut de gamme qui se vendent « comme des petits pains » (ou presque !) malgré leur prix (jusqu’à 8888¥ la pièce).
L’usine (digne du roman « Charlie et la Chocolaterie », cf photo à gauche) fait 30.000m² et le parc qui l’entoure 120.000m². Ses 1.000 employés cassent chaque jour 20 millions d’œufs dans 10 tonnes de farine, tandis que sortent de la chaîne 250 000 pièces de toutes tailles et de prix, écoulées dans ses 700 points de vente à travers le Sichuan (cf photo au-dessus). Liu est devenu le symbole de réussite.
L’histoire s’arrêterait là, si Liu n’avait décidé, maintenant qu’ il en a les moyens, de « ranimer un rêve d’enfance » (重溫舊夢 chóng wēn jiù mèng) : il se mis à construire des châteaux, ni de cartes ni de sable, mais de brique et de béton. Il en a déjà six, tous différents, qui lui ont coûté 100 millions de ¥uans. Ils sont inspirés de Neuschwanstein (de Louis II de Bavière), Chenonceau ou la Sagrada Familia de Gaudi à Barcelone. Les murs sont encore vides (Liu s’intéresse plus à la vue qu’aux intérieurs).
Ceci n’empêche de nombreux visiteurs, du simple curieux aux futurs mariés de venir profiter du décor romantique pour quelques photos.
Son grand regret : l’administration ne lui a jamais pardonné de l’offenser par ses extravagances et a fait abattre une arche de 16 mètres de haut en 2011. Et il reçoit des menaces de mort : à cause de lui, le prix du foncier au Sud-Ouest de Chongqing ne cesse de grimper !
Mais qu’importe – Liu persiste et signe. Sa cerise sur le gâteau sera les six nouveaux châteaux qu’il médite, un « Windsor» notamment.
Ce qu’il veut, c’est « couper le souffle au monde ». Moins par envie d’étaler ses richesses, que par générosité au service du peuple. « La Chine a besoin de châteaux, s’écrie-t-il en envolée lyrique, comme un ferment d’une culture pluraliste. Une ville n’a pas besoin que de cubes pour dormir, mais aussi de rêves, comme le gâteau a besoin de levure, pour faire monter son avenir ».
Sommaire N° 2