Petit Peuple : Shandong – Xiang Junfeng, l’éternel mariage (1ère partie)

Peut-être ce fait divers semble-t-il dépasser les bornes de la vraisemblance. Il est pourtant authentique – comme tous nos « Petits Peuples ». C’est l’histoire d’une femme qui va d’abord lutter pour ne pas mourir, puis quand les vents seront meilleurs, se reconstruire. Nous verrons que notre héroïne réagit finalement avec une grande rigueur logique – même si c’est la sienne, confucéenne, et non la nôtre cartésienne ! 

Le destin de Xiang Junfeng était hors du commun : née au Sichuan en 1967 dans une minorité (celle des Hmongs, essaimés à travers l’Asie du Sud-Est), elle avait émigré jeune, avec sa famille, en banlieue de Jimo (Shandong) où elle végétait dans une misère quotidienne. A la mode de son ethnie, elle adorait les châles, fichus et robes bariolés. Elle ne se doutait pas que cumulé à sa beauté d’adolescente, ce péché mignon allait causer son malheur. 

L’ayant repérée dans la fraîcheur de sa jeunesse, des mafieux n’allaient pas tarder à l’enjôler, en 1985 (elle avait 18 ans), lui promettant un emploi mirifique. Eblouie, elle signa et les suivit sans méfiance… Elle se retrouva quelques heures plus tard, asservie, dans les griffes d’un redoutable réseau de traite des femmes. 

Elle fut revendue alors à Heze (Shandong) à 500 km de là, et mariée de force à un paysan grossier et solitaire. Le village et la police étaient complices : pour lutter contre l’exode vers la ville, il fallait bien trouver des femmes quelque part, en fermant les yeux sur les moyens. Junfeng subit alors toutes les violences imaginables, battue, injuriée, forcée à sarcler le lopin, nourrir le bétail, tenir la maison, préparer les dîner, et pire que tout, passer ses nuits avec son bourreau. 

Pour casser sa résistance, son mari invitait les voisins et même les policiers, leur offrait à manger et à boire, pour la convaincre d’abandonner tout espoir d’une autre vie. Si elle osait tenter de s’enfuir, ils la reprendraient et la ramèneraient de force. Chaque fois qu’il la surprenait à pleurer dans un coin, il la rouait de coups : c’était, disait-il, l’indice infaillible qu’elle continuait à rêvasser de prendre la poudre d’escampette. 

Armée de la rage de survivre, Junfeng prit son mal en patience… Les années passèrent, dans la haine et la peur. Ce n’est qu’un soir de 2000, à 33 ans, qu’elle trouva le courage d’appliquer son plan 100 fois rêvé et 100 fois reporté : après avoir enivré le barbon au tord-boyaux (acheté à la louche, à l’épicerie locale) et l’avoir rassasié d’un lourd dîner, elle décida de s’enfuir dans la nuit.
C’est sa rencontre avec Zhu Xiaohua (nom d’emprunt), voisine du canton limitrophe, qui travaillait à Heze, qui déclencha son courage tardif. Car son amie avait su écouter le récit de ses années d’amertume, et très vite, l’avait prise sous son aile. Les deux femmes avaient deviné la chance qu’apportait leur écart géographique : « Si tu arrives chez moi, avait remarqué Xiaohua, pour peu de n’être pas remarquée en route, tu ne seras pas dénoncée – ici, personne ne te connaît. Et même si une plainte est déposée, notre police te laissera tranquille : les affaires de Heze ne l’intéressent pas ». 

Aussi Junfeng avait-elle commencé par apprendre par cœur le chemin, les signes indicateurs. Le soir fatidique venu, le cœur battant la chamade, elle avait passé des heures à courir et à marcher dans le noir, sans jamais se reposer – même après la chute qui lui égratigna le genou – tétanisée par la terreur d’être rattrapée. 

Xiaohua l’avait accueillie, cachée et nourrie. Après quelques semaines, les recherches à Heze s’étaient interrompues, et le vieux mari s’était cloitré pour cacher sa honte et sa rage. Il avait « perdu sa femme, et perdu la bataille » (赔了夫人又折兵, péi le fū rén yòu zhé bīng). Car pire que ce départ : en quinze ans, Junfeng ne lui avait pas donné d’héritiers ! L’oiselle à présent envolée, il se retrouvait seul, et la risée du village.

Pendant ce temps, Xiaohua et son frère, Zhengliang, avait aidé la fugitive à trouver des petits boulots, tout en lui réservant une chambre à demeure dans leur maison. Pour cette jeune femme qui avait passé près de la moitié de son existence en captivité, c’était le moment béni, la chance que le soleil enfin se lève sur sa vie ! 

Retrouvez la semaine prochaine , vous découvrirez l’excentricité imbattable qui va arracher la rescapée à la grisaille de son existence antérieure, assurant par là même, sa célébrité !

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