Ce reportage, en deux parties, touche à la fois au modèle économique, environnemental et d’organisation sociale du monde agricole.U nique en son genre, l ’expérience menée dans le Xishuangbanna par Nestlé, pourrait avoir une profonde influence sur d’autres régions chinoises et d’autres produits agricoles.
Début mai, sur les hauteurs de Simao, au Sud du Yunnan, des paysans arpentent les terrasses, prélèvent les pousses toutes frêles de thé de Pu’er, et d’un geste adroit, les jettent dans leur hotte sur leurs dos. Quelques centaines de mètres en contrebas, les planteurs de café, en attendant le début de la saison en octobre, quand les baies auront atteint le rouge cerise de la maturité, profitent de ce temps libre pour retailler leurs arbustes frappés par le gel de cet hiver.
Le café, qui n’existait pas il y 20 ans dans la région, vient concurrencer le thé sur une terre où il régnait en maître depuis des millénaires. Pour Wouter De Smet, le patron du programme café de Nestlé, « le thé est dans le cœur des paysans, le café, dans leur porte-monnaie » !
C’est un prêtre catholique français qui l’introduisit en 1902, en cultivant quelques plants dans son jardin. 86 ans plus tard, Nestlé, qui cherchait à approvisionner son usine Nescafé de Dongguan (Guangdong), se mit à prospecter cette région au climat tropical, et inaugura en 1997, une ferme « modèle » de 20 ha à Mengsong (Xishuangbanna), d’abord pour tester les méthodes et les plants, puis donner aux locaux la preuve vivante de sa viabilité. Vingt ans plus tard, Nestlé achète 20% (11.500 tonnes) de la production totale du Yunnan (53.000 tonnes de fèves en 2013) et devient ainsi 1er client, tandis que la province y trouve une nouvelle source de richesse.
Arabica et biodiversité
Pour Nestlé, il s’agissait d’abord de trouver les espèces et le mode de culture les plus adaptés à ce terrain très vallonné. A partir des 30 grandes espèces de café, fournies par son Centre de R&D agronomique de Tours (France), 5 semences furent sélectionnées, toutes de la variété « Arabica », écartant la « Robusta ». Nestlé fit aussi le choix de la biodiversité –en dispersant les caféiers parmi d’autres arbres, pour obtenir une défense naturelle contre les parasites et éviter l’épuisement du sol.
Le Centre de Simao
A partir de 2002, le centre de Nestlé à Simao (Pu’er, à 120km au nord de la ferme) mit en place un « programme d’action » visant à encourager les paysans à accélérer leur passage d’une agriculture de subsistance à une agriculture de rapport, tout en renforçant son image de projet soucieux d’une agriculture durable et de commerce équitable..
Recrutés localement, des agronomes chinois visitèrent les villages, présentant le café, prouvant son attractivité, dispensant gratuitement la formation et l’analyse de sol (réalisée par les laboratoires de l’Etat). Seules les semences ont été fournies à prix coûtant, pour épargner aux paysans le sentiment d’un produit sans valeur. A Simao, l’équipe Nestlé emploie une quinzaine d’employés, dont cinq chimistes chargés des tests de qualité et cinq agronomes équipés de « 4×4 », toujours par monts et par vaux pour visiter continuellement les 2000 fermes.
Une coopération stricte
La coopération se fait suivant des règles très précises imposées par Nestlé, soucieux de prévenir tout dérapage : seuls sont admis comme fournisseurs, des fermiers possédant ou louant légalement leurs terres, et ayant reçu l’agrément Nestlé. Les paysans doivent extraire eux-mêmes la fève de la baie, au lieu de confier la tâche à une usine : ainsi leur gain est supérieur. Ils ne sont pas liés, pour la vente, au groupe helvétique, mais ses prix sont notoirement meilleurs que ceux de la concurrence.
La dégustation, test incontournable
En période de récolte, tous les matins devant l’entrepôt, les paysans apportent leurs grains à bord de leurs petits tracteurs tout-terrain. A l’aide d’une sonde, quelques fèves sont prélevées, leur taille et couleur (bleu-vert) observées. Puis en moins d’une heure, l’échantillon est torréfié, goûté et noté par 4 experts. En cas de mauvais arôme (dû à un défaut de séchage ou de stockage), le produit est rejeté. Le paysan peut alors soit resoumettre son café un peu plus tard (une fois séché), ou le proposer moins cher ailleurs.
Détail amusant, Nestlé actualise son prix selon la bourse de New York, chaque lundi et jeudi : « les fermiers, confie De Smet, ont appris à suivre le cours sur internet (entre 12 et 26 yuans le kilo) et déterminent ainsi le meilleur moment pour vendre, selon leurs besoins. Ainsi, un producteur peut nous apporter trois sacs juste avant les fêtes du Nouvel An…Nos partenaires, quoique peu éduqués, sont devenus de véritables hommes d’affaires ».
Retrouvez au prochain numéro : « Nestlé – l’audacieuse révolution du 4C » ou cet article en version anglaise sur le blog d’Eric Meyer – Forbes
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