Editorial : Gare de Canton : quand les poignards refrappent

Six jours après la frappe ouïghoure en gare d’Urumqi (3 morts et 79 blessés), d’autres kamikazes s’en sont pris à la gare de Canton (06/05). En un an, la liste des « déraillements » entre la Chine et sa province du Xinjiang s’est allongée : 10 attaques mortelles officielles, telles celles place Tian An Men (28/10/2013, 5 morts, 40 blessés) et en gare de Kunming (02/03, 29 morts,143 blessés).

<p>Du fait de la censure, les détails manquent. Selon la version officielle, un homme seul aurait mené l’attaque, portant une calotte blanche – signe traditionnel d’une autre communauté musulmane, celle des Hui. Blessé par la police, il serait à l’hôpital, refusant de s’identifier. Selon des témoins cependant, l’homme aurait eu 3 comparses, dont 2 en fuite et 1 décédé. 

Entre les 4 attaques, des similitudes apparaissent. Si comme on peut présumer, l’identité ouighoure du tueur de Canton se vérifie, toutes ont le Xinjiang pour terre d’origine. Toutes ont impliqué la possession d’armes blanches (lames de 50 cm). Dans deux cas (Pékin, Urumqi), explosifs ou essence ont été utilisés. Toutes ont frappé des métropoles, et se sont déroulées à l’approche de dates-phare : Pékin à la veille du XVIII Congrès, Kunming à celle de la session de l’ANP, Urumqi lors de la visite de Xi Jinping, et Canton juste après le 1er mai. Enfin, au moins deux cas étaient motivés par une rancœur contre l’Etat : à Urumqi, un kamikaze déplorait la détention « injuste » de son fils, et à Pékin, le meneur aurait eu un fils tué par des Hans, lors d’un accident resté impuni. 

On le voit, mobiles et modes opératoires convergent. Le manque de sophistication des armes suggère l’absence de lien avec l’étranger (avec Al Qaeda ou des Ouïghours exilés). Pour autant, ces crimes suivent une ligne commune, et évoquent l’affirmation d’une cause ethnique : déstabiliser l’ordre dominant, le prendre par surprise, indigner les masses pour imposer une réforme. 

On peut comparer ces violences avec les protestations au Grand Tibet. Avec les Ouighours, les Tibétains partagent la peur de perdre leur culture, et le ressentiment d’un jeu économique biaisé en faveur des Hans. Mais la forme de lutte est très différente, selon les valeurs et les interdits religieux de chaque groupe : le Tibétain s’immole par le feu, le Ouighour veut tuer au hasard des passants anonymes. Aujourd’hui, la vague d’auto-immolation semble endiguée, suite au renforcement de la police et des pompiers dans les monastères. On peut supposer que ces attaques dans les gares vont assez vite s’éteindre, sous l’effet d’autres mesures nouvelles de sécurité publique.

Pékin préparerait pour juin un « new deal » du Xinjiang : plus d’emplois pour les Ouighours, mais aussi plus de répression aux opposants. Meng Jiangzhu, patron de la Sécurité vient de lancer une campagne « main lourde, poing serré contre l’arrogance de la violence terroriste » – ni dialogue donc, ni concessions d’autonomie culturelle et religieuse. Mais une réponse de ce type, faute de satisfaire sur le fond (culturel et économique) les aspirations de la base, risque d’exacerber encore la colère, et provoquer davantage d’autres actes aveugles et désespérés.

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